Dissonance – Amélie Noël

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Dissonance Amélie Noël

Dissonance est le premier roman de Amélie Noël, médecin spécialisée en Douleur et Soins Palliatifs. Une magnifique couverture, un titre aussi original qu’atypique, une maison d’édition de confiance… j’avais hâte de m’y plonger. En ce 14 juillet hommage au personnel soignant, je joins ma plume à cette mise en lumière.

Dissonance: Définition Larousse:
nf. Latin: dissonantia
Rencontre peu harmonieuse de sons, de syllabes ou de mots ; cacophonie.
Littéraire. Manque d’harmonie, désaccord entre des idées, des caractères, des sentiments.

Je remercie les Editions La Trace pour l’envoi en avant-première de cet ouvrage.

Différence

Noémie est « différente », elle est dissonante. Comment vit-elle cette souffrance, cette mise au ban de la société en quelque sorte, tant elle est isolée. Comment survit-elle après le décès brutal de son frère, sa boussole, celui qui la comprenait, celui qui la protégeait…

Noémie a grandi tant bien que mal avec les carences affectives maternantes et un sentiment d’insécurité paternant. Ce sont les bases sur lesquelles elle s’est construite. Sa force. Ses failles.

Dissonance innée, dissonance acquise, les deux premières parties du livre.

Ne pas montrer sa dissonance, donner uniquement à voir ce qui est acceptable et par conséquent faire cohabiter deux êtres différents, l’intérieur et l’extérieur.

Comme l’écrit Amélie Noël, « Noémie porte le costume de la résilience. A la perfection. Alors qu’elle est dans la résistance. Dissonance ». Toujours donner ce sentiment que tout va bien, en apparence, que l’on avance… alors qu’au fond…

Que ce genre de propos me parle… et m’interpelle. Que ce texte me fait réfléchir, me perturbe et me bouscule.

Quelqu’un disparaît. Au sens propre comme figuré. Comme Jean ou Noémie. La vie reprend son cours. A toute vitesse. On essaye de ne pas oublier. De penser de temps en temps aux disparus. Et puis on est littéralement happé, presque sans que l’on puisse manifester la moindre volonté. Comme une immense vague qui s’abattrait sur nous. Happé par le rythme de la vie. Rythme imposé mais aussi accepté par un modèle de société. Performance. Efficience. Beauté. Rapidité. Consommation.

La rencontre

Puis il y a ce drame, cet accident… Obscurité totale lorsque Noémie percute une voiture ou qu’une voiture a percuté Noémie. Dans quel sens, dans quel ordre ? Le résultat est le même : le diagnostic vital engagé.

La première rencontre est déterminante à ses yeux. Il ne comptait jamais le temps qu’il allait consacrer à son patient lors de celle-ci. Afin que celui-ci puisse se sentir entendu dans une relation individualisée. Et ce n’était pas rare que cela soit la première fois pour eux. Prendre soin de l’autre dans sa globalité et sa singularité. Chaque thérapie était une histoire unique pour Jonathan. Les patients ne pouvaient se résumer à une question de structure ou de diagnostic. Il n’y avait pas pour lui les névrosés, les psychotiques, les borderline, les bipolaires, les dépressifs. Il y avait l’être humain avec toutes ses particularités.

Et la lumière vint. Jonathan la sauva ? Oui et Non. Jonathan s’occupe d’elle, Jonathan l’écoute, Jonathan la comprend et l’aide à remonter la pente. Petit à petit, heure après heure, jour après jour. Jamais il ne lâche, encore moins abandonne alors même que l’issue de la « mission » apparaît si incertaine.

S’il ne remplace Jean, son siamois, il devient la raison d’être de Noémie, celui qui va lui permettre de vivre, de revivre enfin. C’est le déclic, la lente remontée des abîmes vers la lumière.

Noémie se sent enfin vivante, considérée comme elle est et non comme elle doit être ou devrait être.

Jonathan quant à lui n’avait rien lâché. Pourtant les mises à l’épreuve de la petite Noé avaient parfois été rudes pour lui. Il ne l’avait jamais fait paraître. Ce dont elle avait besoin était surtout de sécurité. Qu’elle ne perçoive pas une possibilité d’abandon. A nouveau. Il s’était accroché. Cela l’avait probablement fait grandir comme thérapeute. Et puis il lui avait transmis quelque chose.

Un témoignage fort

Comme je le soulignais plus haut dans cette chronique, et à l’instar de la ligne éditoriale des Editions la Trace, l’écriture est remarquable. Pour reprendre la métaphore médicale, c’est une écriture au scalpel, très précise et très soignée. Les mots sont recherchés, les tournures de phrases très travaillées. Et pour autant, il y a cette impression de sécheresse, de rugosité. Tout est brut, réel et réaliste. Rien n’est enjolivé, masqué, renforçant la force et la justesse du propos.

L’alternance de phrases brèves et de descriptions fouillées donne une dynamique et un rythme vif, percutant au roman. L’insistance et les répétitions renforcent l’immersion du lecteur dans le livre. Il ressent et s’identifie avec force à Noémie, son mal être, son isolement, sa souffrance.

Le contact avec les patients la nourrissait à la hauteur de son stylo glissant toujours à toute allure sur les pages de ses multiples cahiers. La médecine était une dimension dans laquelle elle avait facilement pu se glisser. Elle s’y était intégrée. Elle pouvait y vivre sa dissonance. Celle-ci était même considérée comme une qualité. Et en même temps en soignant elle réparait.On ne la regardait plus aujourd’hui comme venu d’ailleurs.

Roman émouvant, roman poignant, Dissonance ne vous laissera pas indifférent. Que vous l’adoptiez ou le rejetiez, vous n’en sortirez pas indemne. Vous aurez en le refermant un autre regard sur les dissonants et plus généralement sur les personnes « différentes ». Un bienfait quoiqu’il arrive.

Pour ma part, j’ai été conquis, j’ai été bouleversé, je me suis identifié à Noémie. Refermé il y a plus de 10 jours, il résonne toujours en moi… Cette chronique a été l’une des plus complexes à écrire depuis longtemps.

Aussi dur soit-il, je vous recommande de passer quelques heures avec ce lumineux et sublime opus d’un peu plus de 130 pages.

4/5

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