Un roman puissant, labyrinthique et sensoriel
Art
« Non, vraiment, le geste de Sandrine Maurin née Stievenard n’avait aucune justification artistique, aucun élan politique, tout cela tenait de l’alibi bricolé pour éviter la prison. N’en déplaise à Kendrick Lamar, cette femme n’est rien d’autre qu’une hystérique. Moi aussi, comme Huysmans, j’attends Lucie, qui manque terriblement de sagesse et de dévouement pour l’ordinaire, mais qui est anormalement douée pour les moments troublants et excessifs. »
Pourquoi Sandrine Maurin née Stievenard, la « Sharon Stone du Louvre-Lens », a crevé les yeux de la fameuse Hendrickje Stoffels au béret de velours, le chef d’œuvre de Rembrandt exposé au Louvre-Lens ? Nourriture exquise pour les chaines d’information en continu, cet acte incompréhensible inquiète au plus haut point le juge Valois, d’autant plus qu’un ténor du barreau défend la coupable. Il sollicite alors Pascal Berthomeu, personnage ambigu, insaisissable et obsédé par son ex-compagne Lucie, un expert en arts auprès des tribunaux pour déterminer « si le geste de Sandrine Maurin née Stievenard s’inscrivait dans le cadre d’un processus artistique ou s’il s’agissait d’un geste désespéré commis par une folle. »
Choral
« Avec le temps l’écorce des branches pèle, révélant un bois blanchi, doux et luisant, qui renvoie au centre de la clairière un halo pâle, presque lunaire. En approchant, on est frappés par la beauté de l’assemblage, un tissage massif, autant que par l’odeur de l’humus, des profondeurs de la terre, du pétrichor et de bois séchant. Odeurs puissantes, entêtantes, jaillies du centre du nid, comme un appel, lointain, du fond de la terre, appât irrésistible, accueillant, convoquant en moi des souvenirs si enfouis que j’ignorais les avoir vécus. »
Dès l’entame, d’autres questions s’imposent. Qui sont ces femmes surnommées les corneilles par un journaliste de la Voix du Nord qui sont regroupées devant la maison familiale de Sandrine ? Que font-elles là ?
Le lecteur va voyager avec Pascal jusqu’à Port L’Annonciade, sur les traces de Sandrine. Il va également suivre en alternance le périple de Sandrine, qui quitte son foyer du jour au lendemain et délaisse mari et enfant. A bord de son camion, elle roule… prend Tonio qui sort de prison et s’arrête dans une forêt dans laquelle elle va construire des nids, avant de la quitter précipitamment à l’arrivée de l’équipe de tournage de Kendrick Lamar. Trop de bruits, trop d’ondes… Sandrine est en effet électrosensible.
Féministe
« Pour faire face aux questions les plus pointues j’avais imprimé la biographie Wikipédia de Rembrandt en surlignant les points essentiels : « L’un des plus grands peintres de l’histoire de la peinture, notamment de la peinture baroque », « l’un des plus importants peintres de l’École hollandaise du XVIIIème siècle » »
Électrosensibles est un roman multiple, à l’écriture soignée, immersive, sensorielle, engagée, à l’ironie subtile. le lecteur rira souvent tant l’humour est fréquent, souvent de manière implicite.
L’art est omniprésent à travers les œuvres évoquées ainsi que les questionnements sur la place de la création dans notre société, tout comme la nature, élément central et vital pour Sandrine. Damien Ribeiro explore également la quête de l’identité, les zones floues de l’existence. Il capte le trouble et fait ressentir le désenchantement de ses personnages avec une grande finesse. Enfin, Électrosensibles est un roman féministe, abordant le patriarcat dans l’art, mais pas uniquement.
Une intrigue complexe, une écriture remarquable, un livre qui interroge autant qu’il captive : Électrosensibles est une lecture aussi exigeante que passionnante, qui laisse une empreinte durable dans l’esprit du lecteur.
Electrosensibles est disponible aux éditions du Rouergue
