Les chaussures italiennes – Henning Mankell

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Si Henning Mankell est connu et reconnu pour être l’un des maitres incontestés du roman policier (les fameuses enquêtes de Wallander), il était aussi un grand écrivain de littérature dans lequel il s’était également imposé. Son roman, Les chaussures italiennes, paru aux Editions Points en Février 2011, en est un très bel exemple.

À soixante-six ans, Fredrik Welin vit reclus avec pour unique compagnie sa chienne et sa chatte depuis près de 12 ans sur une île balte dans la maison familiale. Chirurgien de profession, sa carrière fut stoppée net par une erreur tragique lors d’une opération: il amputa une jeune femme du mauvais bras. Après avoir reçu un avertissement de la profession, il a choisi de prendre une retraite anticipée et de fuir. Son quotidien est très routinier: il s’inflige chaque matin une immersion au fond d’un trou creusé dans la glace, il attend Jansson, le postier hypocondriaque qui ne lui apporte jamais rien et écrit son activité dans une sorte de journal de bord.

J’avais trahi parce que j’avais peur d’être trahi à mon tour. Cette peur du lien, cette peur de sentiments trop intenses pour pouvoir être contrôlés, m’avait toujours poussé à réagir d’une seule façon : l’esquive, la fuite. Pourquoi ? Je n’aurais pas su répondre à cette question. Mais je savais que je n’étais pas le seul. Je vivais dans un monde où beaucoup d’hommes passaient leur vie à avoir peur de la même façon que moi.

Mais cette routine est interrompue un jour par l’arrivée d’une femme, l’intrusion d’Harriet sur son ile, femme qu’il a aimée et abandonnée trente-sept ans plus tôt. Sa vie va être totalement perturbée et durant deux hivers et un été, Fredrik va renouer avec le monde, les émotions, la vie tout simplement au travers de différentes femmes. Harriet, son amoureuse délaissée, Louise, sa fille inconnue, Agnès, la « victime » malheureuse de son erreur, Sima, une jeune femme perdue…

As-tu jamais cru que tu me reverrais un jour? L’as-tu jamais souhaité?
Je n’ai pas répondu. Pour une personne qui en a abandonné une autre sans mot d’explication, il n’y a au fond rien à dire. Il existe des trahisons qui ne peuvent se pardonner, ni même s’expliquer de quelque manière que ce soit. Celle que j’avais infligée à Harriet était de celles-là. Donc je n’ai rien dit. J’ai attendu, en regardant la flamme de la bougie.

Ce roman est superbe mais très émouvant. Henning Mankell excelle réellement dans son art d’écrivain mais l’atmosphère du livre est déconcertante: mélancolie, tristesse, remords et regrets, solitude, maladie, cancer, mort…

Il est aussi facile de se perdre à l’intérieur de soi que sur les chemins des bois ou dans les rues des villes.

Ce récit est finalement un long (très long même tellement le déroulé du livre est lent) cheminement de deux êtres, Fredrik et Louise, rongés par le remord, leurs âmes meurtries à jamais de regrets.

La plume de Mankell est subtile, très illustrative, merveilleusement évocatrice des sentiments et des pensées des personnages. On ne peut que ressentir de l’empathie pour ces derniers. Leurs histoires nous submergent, nous captivent et souvent nous bouleversent. Il y a dans les pages du livre, à l’instar des meilleurs thrillers ou polars, des moments oppressants qui nous prennent littéralement à la gorge mais aussi des moments d’intense douceur. De nombreuses phrases fortes, des dialogues incisifs entre Fredrik et sa fille ou sa « victime », mais surtout une atmosphère particulière dans laquelle on baigne avec  bonheur. Les descriptions de la nature sont également superbes, ce qui fait que l’on voyage en tournant les pages. Et pourtant la mort est omniprésente tout au long de l’opus…

La mort ne me fait pas peur. Ce que je n’aime pas, c’est l’idée que je vais devoir rester morte si longtemps.

Malgré cette noirceur et cette lenteur assumée, il n’y a que peu de longueur tout au long des 4 parties du livre. Cela se lit très facilement et relativement rapidement. On assiste avec « bonheur » mais le cœur serré et avec souvent les larmes proches, à la fin de vie d’Harriet retrouvant celui qu’elle n’a jamais oublié et mourant à ces côtés dans sa maison, de Fredrik assumant enfin ses mensonges, ses fuites et faisant face à ses peurs, regoutant à la vie en quelque sorte. Les personnages « secondaires » sont parfaitement intégrés au récit.

De rebondissements en révélations , Mankell nous offre ici un récit touchant empreint d’une grande humanité. C’est bouleversant pour le lecteur (surtout en cette période qui suit son décès)!

J’attendais la lumière du jour pour entreprendre la traversée. Comment j’allais me débrouiller avec ma vie, après tout ce qui s’était passé, je n’en avais aucune idée. Là, tout à coup, sur la jetée, j’ai fondu en larmes. Chacune de mes portes intérieures battait au vent, et ce vent, me semblait-il, ne cessait de gagnait en puissance.

Vous l’aurez compris, âmes sensibles s’abstenir. Vous ne ressortirez pas indemnes d’une telle lecture. Impossible en effet de rester de marbre face à ce beau récit, certes trop mélancolique mais si bien écrit… Si vous souhaitez découvrir le Mankell écrivain et non le père de Wallander, lisez les chaussures italiennes.

4/5

Toutes mes félicitations et un grand merci à Cryssilda qui est à l’initiative de ce bel hommage sur la blogo. Vous retrouverez tous les titres lus et publiés ce jour en hommage à Henning Mankell sur cette page Facebook.

Je ne peux conclure sans mettre également en avant ce superbe témoignage de Marie, blogueuse à Littéraventures et libraire du 45ème parallèle. Lisez-le et voyez ce que la lecture peut aussi pporter… C’est très émouvant.

R.I.P. Henning; We miss you!

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