Ils ont tué la gauche – Pierre Jacquemain

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Qui n’a pas entendu parler ces dernières semaines de cet ouvrage? Même en évitant radio, télévision et sites internet, je suis certain que vous avez déjà une vague idée de quoi parle cet essai. Etant intéressé et personnellement engagé en politique (du coup, rester neutre dans cette chronique n’est pas aussi simple que d’habitude), je ne pouvais que lire Ils ont tué la gauche – Postures et imposteurs au sommet de l’Etat de Pierre Jacquemain.

Le moment était déconcertant. Gênant. Décevant. Parce que la séquence était l’illustration parfaite et terrible de l’échec politique que nous vivons depuis sans doute longtemps. Une défaire de l’action publique. La déroute de la pensée politique. L’abandon du pouvoir politique. Ou comment les décideurs ont intégré les contraintes. ils ont abdiqué à tenter au moins de les dépasser, de les surmonter. Nos dirigeants n’ont plus vocation à changer la vie mais simplement à accompagner le système existant. Sans jamais le remettre en cause. Le discours du président sur le renouvellement, pour changer la politique – tant sur le fond que sur la forme – n’était qu’un leurre. Parce que le pouvoir est ailleurs. 

Voilà une première citation qui explicite l’état d’esprit de l’auteur: revendicatif, déçu, en  colère car trahi, engagé… mais pas résigné et fidèle à ses idéaux (il a préféré quitter un poste confortable car en désaccord sur le fond. Plutôt démissionner que cautionner). Car non Ils ont tué la gauche n’est pas un énième livre « qui enfonce des portes ouvertes », « détaille des lieux communs » (pour celui qui s’intéresse à la chose publique, il en trouvera obligatoirement) ou se contente de dénoncer sans arguments ou contre-propositions. C’est en cela qu’il est d’ailleurs très intéressant.

Et les technocrates veillent au grain. Ils gesticulent. Manipulent. Hypnotisent aussi. ils sont organisés pour préserver le système. Partout à la une des journaux, les experts nous expiquent que ces nouveaux visages de la politique, ceux qui ont pris le pouvoir sont des cerveaux indépendants, aux sensibilités politiques différentes. Mais qui jamais ne s’expriment. A l’exception notable d’Emmanuel Macron. Parce qu’il fait partie de ceux qui ne veulent pas remettre en cause le système. un « techno » plus visible que les autres.

Dans une première partie, Pierre Jacquemain fait un état de l’establishment politique français et s’en prend violemment aux Enarques et autres technocrates. Ceux sont eux qui dirigent aujourd’hui et ont la main sur tout. Est-ce normal? Pourquoi en est-on arrivé là?

Le journaliste de l’Observateur Patrick Fauconnier a d’ailleurs une analyse très intéressante à leur sujet. Dans un article publié en Mars 2016 intitulé; « L’ENA, facteur du déclin français? », il suggère la définition suivante: « Les énarques sont formés à administrer et gérer, certainement pas à inventer et innover. On ne les a aucunement préparés à être stratèges, imaginatifs, audacieux, courageux. on leur a même instillé les vertus inverses. Sévère mais juste. »

Sévère c’est certain. Mais d’un autre côté, chacun son rôle, chacun sa place serais-je tenté de dire. Il faut des personnes pour gérer, il faut des personnes pour innover. Il faut donc des administratifs et des productifs. On demandera davantage à un chef d’entreprise ou à un responsable Recherche et Développement d’innover, pas à un administratif… Arriver à trouver le juste milieu, et que chacun reste à sa place.

Cela n’est pourtant pas si simple car comme le souligne l’auteur « Parfois, il y a de la résistance au sein de l’administration. C’est le rôle du cabinet politique de veiller à ce que les décisions de ceux qui ont été élus soient appliquées, souvent en faisant preuve de pédagogie, pour accompagner la mise en place des politiques publiques en lien avec l’administration ». 

Et c’est en effet ici que cela se complique drastiquement. On sait que les cabinets sont tout puissants, on sait que le (ou la) ministre a une cohorte autour de lui qui lui prépare tout, qui lui « mâche » le travail, qui lui impose les éléments de langage (rien n’est laissé au hasard, la spontanéité et l’improvisation sont totalement bannis). Mais lire la deuxième partie du livre à propos de l’élaboration et la présentation de la loi Travail fait froid dans le dos. C’est aussi affligeant que révoltant. Dans le détail (devait-il en parler? devait-il révéler toutes ces informations? Cela est une autre affaire sur laquelle nous reviendrons en fin de billet), l’ex membre du cabinet de la ministre nous explique que cette dernière n’a servi que de marionnette, qu’elle a préféré se taire et se « soumettre ». Que Matignon plus particulièrement a tout géré et tiré toutes les ficelles, des plus subtiles aux plus grossières. Certaines révélations pour le moins choquantes et scandaleuses!

La seule motivation, l’unique objectif, c’est la préservation du pouvoir en place, la reproduction des élites, voire leur reconduction et bien sûr leur promotion. 

Est-ce réellement cela que l’on attend d’un politique? Qu’est ce que la politique? Hannah Arendt en a rédigé tout un essai… vaste question donc. Mais sans rentrer trop dans les détails, la politique se rapporte au collectif, à l’intérêt collectif et non individuel, aux actions définissant le cadre d’une société. On en est loin aujourd’hui…même si parfois il y a des exceptions comme ne l’oublie pas l’auteur.

La politique a gagné. Pour l’intérêt général. Preuve que quand chacun reste à sa place, que les convictions l’emportent sur la seule gestion, la politique retrouve ses lettres de noblesses. 

Transition toute faite pour la dernière partie de l’ouvrage, la plus clivante, la plus engagée puisque celle dans laquelle Pierre Jacquemain fait ses propositions. Homme de Gauche (qu’est ce que la gauche d’ailleurs aujourd’hui, autre vaste débat…), de la vraie gauche, celle du peuple et non celle du libéralisme (comprenez plus Mélenchoniste ou Hamoniste, que Vallsiste), il en appelle à la redéfinition de la politique avec l’instauration d’une VIème République dans laquelle le citoyen serait associé au pouvoir. Proportionnelle, tirage au sort, suppression du 49-3 … Pierre Jacquemain propose et donne sa définition de la politique:

Il faut en finir avec la politique des experts. Pour faire de la politique, il faut avoir des convictions. Il faut avoir une vision, une ambition, un rêve, une utopie. C’est sans doute cela qui a manqué à Myriam El Khomri. Et je le disais un peu plus tôt: c’est sans doute cela qui manque à une large partie de la classe politique émergente aujourd’hui: des convictions, une vision.  

Mais cher Pierre, je ne suis pas totalement ok avec le début: les experts sont utiles et nécessaires. C’est à eux d’analyser, classer, détailler et proposer. Mais ensuite, effectivement, c’est au politique (et non aux technocrates ou au directeur de cabinet) de faire les choix. Et surtout de les assumer pour convaincre et ne pas reculer. Donc non au cumul des mandats, non à la totale professionnalisation du politique (même si je suis favorable à un statut qui le protège davantage juridiquement, notamment pour encourager les vocations dans les petites villes) et STOP aux copinages… Vaste débat!

N’est pas le général De Gaulle qui veut… Servir l’intérêt national au travers d’un projet, de convictions solides, donc d’une vision pour la France à long terme, vœux pieux? utopie? Cela sera à n’en pas douter des maîtres-mots de la prochaine élection présidentielle. Cette dernière échafaudera-t-elle une première réponse? Je ne peux que le souhaiter! Mais malheureusement,j’en doute fortement. Il faut être naïf, il faut espérer, il faut rêver… mais à force, tout finit par disparaître… On rentre dans le rang, on se résigne, et on finit routinier… Réalisme vs Utopie, Libéralisme vs Etatisme, Conservatisme vs Réformateurs… chacun a sa propre opinion. Ne faudrait-il pas un savant mélange de tout cela pour remettre la France sur les rails, redonner la confiance aux Français et vivre de nouveaux heureux?

Je conclue comme promis avec une question ouverte: fallait-il publier ce livre? N’est ce pas faire du buzz médiatique? Donner du grain à moudre aux anti-système? Participer encore plus à la décrédibilisation et aux « tous pourris »? L’aurait-il été sans l’utilisation du 49-3? Et si Myriam El Khomri ne s’était pas couché face au premier ministre, si elle avait tenu bon et défendu ses convictions? Si elle avait comme l’auteur refusé cette mouture de la loi Travail et démissionné, que ce serait-il passé?

Je ne me permettrai pas de répondre, et je pense que la réponse n’est pas si simple. Je me contenterai de dire que Pierre Jacquemain a été courageux en publiant un tel ouvrage, qu’il est resté fidèle à ses convictions et a refusé toute compromission (même si effectivement on pourra me rétorquer qu’il est dans le système quand même, qu’il en a profité avant de le dénoncer) et que ce n’est pas en écrivant un livre que malheureusement on devient milliardaire Madame la Ministre. Même si je souhaite à l’auteur toute la réussite possible.

Bien documenté, intéressant, engagé, affligeant, révoltant, utile… c’est une liste de mots qui définit parfaitement Ils ont tué la Gauche, essai de Pierre Jacquemain qui se lit vite et qui est bien écrit, paru aux Editions Fayard fin Août. Je vous le conseille.

4/5

3 Commentaires

  1. Je ne m’étais pas arrêtée plus que ça sur cet ouvrage. On se dit encore un qui pour avoir son petit moment de gloire claque la porte avec bruit et fracas. Mais ton avis pique ma curiosité, je vais peut être le lire finalement.

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