Repose-toi sur moi – Serge JONCOUR

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Après l’excellent et remarqué « L’écrivain national » sorti en 2014 et qui fut finaliste du prix Renaudot, Serge Joncour nous propose pour cette rentrée littéraire 2016 Repose-toi sur moi son dernier opus.

Je remercie Typhaine, les éditions Flammarion ainsi que l’auteur qui m’a fait envoyer un exemplaire en avant-première.

« Parfois, à de petits carrefours inattendus de la vie, on découvre que depuis un bon bout de temps déjà on avance sur un fil, depuis des années on est parti sur sa lancée, sans l’assurance qu’il y ait vraiment quelque chose de solide en dessous, ni quelqu’un, pas uniquement du vide, et alors on réalise qu’on en fait plus pour les autres qu’ils n’en font pour nous, que ce sont eux qui attendent tout de nous, dans ce domaine les enfants sont voraces, avides, toujours en demande et sans la moindre reconnaissance, les enfants après tout c’est normal de les porter, mais elle pensa aussi à tous les autres, tous ceux face auxquels elle ne devait jamais montrer ses failles, parce qu’ils s’y seraient engouffrés, ils ne lui auraient pas fait de cadeaux. Ils sont rares ceux qui donnent vraiment, ceux qui écoutent vraiment »

Aurore a tout pour être heureuse. Styliste réputée, elle est propriétaire de sa marque de vêtements Aurore Dessage. Mère de deux enfants, mariée à un riche homme d’affaires américains, elle vit dans un luxueux appartement à Paris.

On ne peut en dire autant de Ludovic. Ce provincial, agent de recouvrement de dettes, a quitté la ferme familiale et sa vallée du Célé suite au décès de sa femme Mathilde il y a 3 ans. Il vit depuis seul dans un petit appartement parisien qui ne paye pas de mine.

« dans une vie le drame est toujours là à roder, tout près de tout abîmer. »

Tout semble opposer ces deux individus si ce n’est le fait qu’ils partagent une cour arborée commune (leurs deux appartements se faisant face dans le même immeuble). Si ce n’est que l’un comme l’autre doute, s’interroge, … La citation qui suit résume à elle toute seule tous ces tourments.

« En se serrant contre cet homme, en s’y plongeant avec tout ce qu’elle mobilisait de forces, elle embrassait l’amour et le diable, la peur et le désir, la mort et la gaîté, elle avait la sensation de se perdre en plein vertige dans ces bras-là, d’être embarquée dans une spirale qui n’en finirait jamais de les avaler. »

L’auteur utilise d’ailleurs beaucoup ce processus d’opposition des genres : la ville vs la campagne, la famille vs la solitude, la pensée vs la réalité, les idées vs les faits, la face visible et la face cachée de l’humain…

« En ville la solitude a un écho démesuré. Il aurait cru que ce serait le contraire, qu’en ville, vivre seul serait un genre de bienfait, une bénédiction, la compensation de toutes ces heures occupées à évoluer au milieu du monde, à être sans cesse entouré. En fait non. »

« A la campagne l’extérieur n’était jamais hostile, dans le froid il bougeait toujours, il ne faisait jamais de surplace, pas même à la chasse, à la limite il aimait bien se faire secouer par un coup de gelée ou une bonne pluie, marcher dans la neige aussi bien qu’en plein cagnard, alors qu’à rester planté sans bouger dans le souffle de ces deux avenues immenses, deux nationales aux perspectives interminables, il était pris de tremblements, comme s’il ressentait l’instant exact, la seconde précise où il attrapait froid, c’était curieux de concevoir ça, pourtant il demeurait immobile, se croyant le plus fort encore une fois. »

Et pourtant… une rencontre fortuite dans cette « petite campagne » va bouleverser la vie de Aurore et Ludovic. Une histoire de corbeaux en est l’origine : leurs cris effrayant et rendant hystérique la femme, l’homme décide de lui venir en aide et d’éliminer les oiseaux.

En fin de première partie, le décor est ainsi planté. Malgré les apparences, on est loin d’une intrigue banale. C’est tout l’art de l’écriture de Serge Joncour. Tour à tour intimiste, tendre, drôle, touchante, poignante, abrupte, hypnotique et finalement addictive, sa prose nous envoûte, nous émerveille, nous émeut et au final nous séduit véritablement.

Les chapitres sont majoritairement courts, l’alternance descriptions et dialogues donne un vrai rythme. Les phrases sont longues, douces, mélodiques, poétiques. Elles nous plongent dans les pensées des deux personnages, leurs questionnements, leurs souhaits et leurs contradictions, décryptent leurs faits et leurs actes.

« Cette femme représentait bien tout ce qu’il détestait de Paris, tout ce qui le rejetait, tout ce qu’il aurait dû fuir, et pourtant elle l’attirait. Tout d’elle l’attirait. »

« plus que jamais elle avait réalisé à quel point cet homme lui échappait complètement, qu’ils n’avaient rien en commun, rien de familier, et malgré ça, à ce moment précis, il était l’être duquel elle se sentait le plus proche, le plus intime. En plongeant sa tête dans son cou, les yeux fermés elle se dit, Je ne le connais que depuis un peu plus d’un mois, mais il est entré en moi par une porte cachée, secrète, que lui seul a su trouver… »

Cela rend surtout Aurore et Ludovic terriblement attachants. On est à leur côté, on sourit ou on souffre avec eux. Plus on avance dans les pages, plus la lecture est agréable, plus on savoure et on a envie de savourer. J’ai eu beau essayer de ralentir mon rythme, j’ai dévoré et avalé la dernière partie à vitesse grand V tellement cet opus est addictif. Il a été impossible de ne pas me sentir concerné tant cela me touchait et me marquait.

C’est aussi un roman contemporain et engagé à l’image des valeurs de l’auteur. Les travers du business actuel sont largement abordés avec finesse :

« parce qu’eux ils savaient bien que dans les affaires il ne faut jamais chasser seul mais toujours en meute, que dans les affaires il ne faut jamais s’isoler, il ne faut jamais partir seul sans s’assurer de ses appuis, à moins de chercher à se faire bouffer. »

Ou force :

« Le business, c’est soit tu bouffes les autres, soit tu te fais bouffer ».

Souvent avec justesse :

« C’est pourtant vrai, il ne suffit pas d’être génial pour réussir, il faut surtout anticiper, dans la vie c’est toujours ceux qui ont un coup d’avance qui réussissent, pas les surdoués ! »

 « Il ne priverait personne de ce cadeau. » est la dernière ligne des 427 pages de ce formidable livre. Merci Serge de nous avoir offert ce grand moment de sérénité, de beauté, d’humanité, d’introspection, de questionnement, de joie, de vie, d’amour… Que serait la vie sans l’amour ? A quoi servirait ce dernier sans vie ? Parfois il faut savoir oser… Oser aller vers les autres, oser faire confiance à l’autre, oser se remettre en cause, oser desserrer la bride. Le résultat est bien souvent au-delà de nos espérances. Mais autant faut-il oser bouleverser ses habitudes, mettre un mouchoir sur sa fierté et accepter de se reposer sur quelqu’un d’autre comme l’ont fait nos deux protagonistes.

« C’est elle qui prit l’initiative, il avait des lèvres tellement charnues et douces qu’elle n’eut même pas le temps de se demander ce qu’elle faisait, elle n’eut pas le moindre mouvement de recul tellement elle les voulait encore ses lèvres, elle se plaqua cotre l’arbre, elle était éperdument exaucée, cette cour qui depuis des années lui donnait de l’énergie, cette enclave de sérénité, voilà qu’elle allait jusqu’au bout de cette promesse, pour une fois elle était au cœur même de ce refuge qui la protégeait du monde, il faisait nuit maintenant, et dans l’obscurité, sous ces feuillages, tout était plus sombre encore, parfaitement caché. »

Repose-toi sur moi est définitivement un ouvrage qui fait du bien, qui donne envie de lire, qui fait aimer la littérature, tout simplement une lecture indispensable de cette rentrée littéraire. Non, ne vous privez pas de ce cadeau, bien au contraire même. Je vous encourage très fortement à le réserver chez votre libraire ou bibliothécaire favori. Vous passerez assurément un merveilleux moment qui vous marquera longtemps. A lire, relire et transmettre.

Une dernière citation pour la route en guise de conclusion de ce billet :

« Quitter c’est se redonner vie à soi, mais c’est aussi redonner vie à l’autre, quitter c’est redonner vie à plein de gens, c’est pour ça que les hommes en sont incapables, donner la vie est une chose qu’ils ne savent pas faire. »

5/5 SUBLIME COUP DE CŒUR

Repose-toi sur moi Serge JONCOUR

427 pages – Editions Flammarion – Parution le 17 Août 2016.

Je vous invite également à consulter l’avis de Delphine ou celui de Nadine ou encore celui de Caroline

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26 Commentaires

  1. Le titre me fait un peu peur je le trouve un peu ‘cul-cul la praline’ façon Musso etc..et je craignais une histoire un peu sucrée….J’adore ce qu’écrit Joncour, j’ai beaucoup aimé le précédent roman (et l’auteur, en chair et en os, est un chouette gars !), et ce nouveau roman fait partie de mes envies de cette rentrée !

    • L’intrigue peut sembler banale à première vue en effet mais c.est mal connaître Serge. Grandiose ce qu’il a produit. J’en suis toujours très fortement marqué. Fonce Virginie. Bises

  2. J’avais beaucoup aimé « L’Ecrivain National » et je vais m’empresser de lire celui-ci !
    le résumé m’a fait un peu peur (ça faisait très « Le mec de la tombe d’à côté ») mais je suis ravie de tous ces billets très enthousiastes que je lis !

  3. « Un ouvrage qui donne envie de lire, qui fait aimer la littérature ». Pas d’accord.
    J’ai lu une seule phrase dans la librairie. Celle-ci est si longue qu’elle remplit une page entière.!… Et, à lire les extraits ci-dessus, ce cas n’est pas unique.
    La ponctuation est un outil de lecture. Mal utilisée, cela la dessert.
    Je n’ai pas lu ce livre. Et je ne le lirai jamais…

    • Merci pour ce retour. Sans le lire, difficile de juger et d’avoir une idée arrêtée selon moi. Mais je comprends vos arguments.
      il ne manque pas d’autres livres. Belles lectures à vous.

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