Des vies à découvert (Titre original : Unsheltered) est le dernier roman traduit aux éditions Payot et Rivages en français (Traduction assurée par Martine Aubert) de l’auteure américaine Barbara Kingsolver.
Lauréate du prestigieux Orange Prize pour Un autre monde en 2010, elle est réputée pour son engagement en faveur de la justice sociale ainsi que la biodiversité.
Elle m’a souvent été recommandée, et j’ai donc entamé avec autant d’attente que de curiosité Des vies à découvert.
Lu en avant-première dans le cadre des explorateurs de la rentrée littéraire, je remercie les éditions Rivages, Karine Papillaud ainsi que Lecteurs.com pour cette belle aventure.
Une maison en ruines
Une vieille maison en ruines est le fil conducteur et le point commun de deux histoires se déroulant à 150 ans d’intervalle : la première à la fin du 19ème siècle et la seconde à notre époque contemporaine, en 2016 plus précisément. Sans fondation, la bâtisse située à Vineland au New Jersey peut en effet s’effondrer à tout moment.
Elle est le lieu de résidence du professeur Tchatcher Greenwood, professeur de biologie, et sa famille en 1871. Se heurtant au conservatisme assumé de Charles Landis, fondateur de la cité, Greenwood trouve soutien et réconfort auprès d’un journaliste, Uri Carruth et surtout Mary Treat. Biologiste botaniste, cette dernière entretient une correspondance avec Charles Darwin. Ces échanges épistolaires ne peuvent qu’intéresser et ravir le professeur Greenwood, grand partisan de la théorie Darwinienne.
En 2016, les propriétaires sont une famille de la classe moyenne américaine, les Knox. A l’instar de Greenwood, le père est professeur d’université. Willa, la mère de famille, journaliste sans emploi, se bat pour trouver coûte que coûte un financement pour éviter la destruction de la maison. Une fille antisystème en confrontation directe avec un beau père ultra conservateur, un mari obligé de quitter son poste, un fils étudiant empêtré dans des difficultés financières et un bébé, le quotidien de Willa n’est pas de tout repos.
Deux époques, une même problématique
Outre une maison en ruines, les deux histoires ont un autre point commun : les cassures et les nombreuses fissures de l’Amérique.
De très nombreux thèmes, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux, écologiques, environnementaux, sociétaux sont abordés par l’auteur.
Les problématiques ne changent guère entre les époques : la puissance des médias et leur rôle d’information (ou de désinformation), l’égalité, ou plutôt l’inégalité, entre les hommes et les femmes, les contre-vérités, la dévalorisation du savoir, l’obscurantisme religieux vs la rigueur scientifique, l’accès aux soins (l’ObamaCare et Trump… une pépite) ou plutôt ses défaillances sont quelques exemples parmi tant d’autres.
Les deux familles doivent affronter la résurgence de l’extrême droite, minimiser la diminution de leurs revenus, s’adapter au changement… L’amour et non la haine, la communauté, qu’elle soit familiale ou sociale, et non le nationalisme, être proactif et agir, et non croire tout ce qui est écrit ou dit apparaissent comme autant de médicaments pour survivre à tous ces dangers.
La poésie établit une passerelle entre les deux époques qui semblent ainsi dialoguer, se répondre, se compléter. Le lien est naturel, la compréhension facilitée, l’intérêt accru.
Des vies à découvert, un roman engagé
Un pavé imposant, une rédaction dense, un texte puissant, des pages « richement » noircies, un roman foisonnant … Des vies à découvert est une lecture exigeante qui se mérite…
C’est surtout un vibrant hommage à deux personnages féminins, aussi héroïques qu’attachants, et un portrait très engagé de la société américaine.
Barbara Kingsolver met en lumière la place centrale des femmes dans la famille et la recherche scientifique.
Elle invite à l’introspection, incite le lecteur à ne pas rester inactif ou passif face aux événements. Elle appelle clairement à agir pour un nouveau modèle, plus ouvert, plus tolérant et plus progressiste afin de répondre aux attentes des jeunes aujourd’hui.
Les mots usités sont forts, méthodiquement choisis. Les métaphores sont nombreuses, les propos souvent explicites. Si les affirmations « nationalistes » et ultra-conservatrices du grand père Knox font froid dans le dos, elles sont pourtant caractéristiques des clivages importants aux Etats-Unis aujourd’hui, mais également de l’inquiétante montée des extrêmes sur notre vieux continent.
Il en est de même pour les théories environnementales. Nos enfants sont en première ligne et démontrent jour après jour leur prise de conscience face à la surconsommation. A l’instar de Tig dans le roman, cette génération montante est bien plus sensible aux effets catastrophiques du réchauffement climatique par exemple.
Je n’oublie pas pour autant de mettre en exergue Marie Treat qui œuvra pour que le travail de Darwin soit reconnu et réhabilité. Ces personnages féminins sont des modèles de courage et des exemples à suivre.
Long, riche, pointilleux, Des vies à découvert requiert une attention accrue. Il ne conviendra pas à tout le monde c’est certain du fait de ses sujets, ses longueurs, sa lenteur ou les apparences fastidieuses de certains chapitres. D’autres le considèreront comme une œuvre incontournable en cette période trouble.
Pour ma part, j’ai trouvé Des vies à découvert passionnant même si je reconnais ne pas être adepte de la lenteur. Barbara Kingsolver est réellement convaincante et ce parallèle entre deux époques, fort audacieux, est une belle réussite. Les années passent, la technologie évolue mais rien ne change finalement… il faut se battre, il faut combattre, il faut s’affirmer… et il faut penser à l’avenir de nos enfants.
Je recommande.
4/5