Pas de larmes – Caroline Tiné

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Pas de larmes Caroline Tiné Albin Michel
Pas de larmes Caroline Tiné Albin Michel

Beauté et exigence de l’écriture

Il y a des romans qui s’ouvrent comme on entrouvre une porte sur la mémoire, laissant s’engouffrer la lumière crue du passé et la poussière des secrets de famille. Pas de larmes de Caroline Tiné appartient à cette catégorie, où l’écriture, foisonnante et ciselée, épouse la complexité du souvenir pour mieux en révéler les brisures et les fulgurances. L’Algérie, l’écriture et le père… C’était forcément pour moi.

« Il était un père défaillant mais un homme admirable, à toi de voir, ce sont tes affaires. »

Alger la Blanche

Dès les premières pages, la voix de Victoire, l’aînée, résonne dans la blancheur d’Alger, cette ville-mémoire où elle revient pour disperser les cendres du Père. Ce Père immense, charismatique et insaisissable, militant de l’indépendance algérienne, figure à la fois admirée et redoutée, dont l’ombre plane sur chaque geste, chaque pensée de sa fille. Entre Alger et Tipaza, Victoire arpente les lieux de l’enfance, frôle les fantômes familiaux, et tente de démêler les fils emmêlés d’une histoire qui n’a jamais cessé de la hanter.

« Ces derniers jours, insensible, occupée à agir, fée du logis d’un certain genre, elle a étouffé sa violence dans les gestes mécaniques d’un robot froid comme du métal. Elle découvre son reflet, longue tige un peu penchée aux cheveux raides et clairs, le poids de l’urne sur les épaules, telle une fatma qui porterait une jarre, elle esquisse un sourire, mais son visage reste flou dans l’obscure transparence du verre. »

Une écriture somptueuse, parfois trop

Ce qui frappe, c’est la richesse de la langue. Caroline Tiné déploie une écriture dense, sensuelle, où les descriptions, parfois luxuriantes, dessinent des paysages intérieurs aussi puissants que les décors méditerranéens. Les phrases s’allongent, se déroulent comme des vagues de souvenirs, puis, soudain, se brisent en éclats : quelques mots, des syncopes, qui disent la peur, l’impatience, ou l’émotion rentrée. Il y a dans ce style une tension permanente entre le flux du passé et les heurts du présent, entre la douceur de la nostalgie et la violence des non-dits.

Mais cette écriture, aussi belle soit-elle, demande une attention particulière. L’ensemble manque peut-être de dynamisme, exige du lecteur une concentration et une disponibilité d’esprit, loin des préoccupations du quotidien. C’est un livre qui se mérite, qui demande à être apprivoisé, quitte à laisser certains lecteurs au bord du chemin. Ce n’est pas un roman dans lequel on plonge à la légère, mais plutôt une œuvre que l’on aborde avec respect.

« Sur le point de s’enfermer dans une cage, pour écrire un livre qui ne serait pas le sien, un huis-clos qu’elle s’infligeait comme une punition, elle était dans cet état d’esprit, prisonnière du désir du Père, et du passé qui ne passerait pas. »

Une quête d’équilibre

Le roman évite le piège du pathos. L’humour affleure parfois, comme une respiration dans la mélancolie, et la tendresse perce à travers la pudeur des silences. On y retrouve la blancheur d’Alger, le bleu de la mer à Tipaza, et ce parfum d’exil qui nimbe chaque page d’une lumière tremblée. Les dialogues, vifs, ancrent le récit dans une réalité charnelle, tandis que la poésie de la narration invite à la contemplation, à l’écoute du murmure des absents.

Pas de larmes est une quête : comment se libérer du poids des héritages, comment aimer sans se perdre dans l’ombre du Père ? Victoire avance sur ce fil vacillant, funambule entre deux rives, entre deux histoires, entre amour et désamour, mémoire et oubli. 

« C’est l’image de sa vie, une errance en eaux troubles, un combat égaré sur un parcours sinueux. »

En refermant ce roman, il reste la sensation d’avoir traversé une mer intérieure, bercé par le ressac du passé et la promesse d’un renouveau.

Caroline Tiné signe ici une œuvre intime et ample, où la beauté de l’écriture rivalise avec la force des émotions. Un livre exigent et bouleversant, à lire lentement, pour en savourer chaque éclat de vérité.

Pas de larmes est publié aux éditions Albin Michel.

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