
Une semi-déception
« J’ai appris à nommer les choses avec des mots qui n’existaient pas, parce que ceux d’avant ne disaient plus rien. »
Une suite attendue, un langage qui déroute
Que j’étais heureux et impatient quand j’ai vu la sortie de la suite de Dans la forêt. Retrouver Eva et Nell, quinze ans après l’effondrement, aurait pu / du être une fête. Mais Jean Hegland prend le lecteur à rebrousse-page : ici, c’est Burl, l’enfant né de la forêt, qui porte la voix du roman, et avec elle un langage singulier, fait de mots inventés, de tournures inédites, de poésie brute. « Noustrois », « enfantelait », « capane » … Ce vocabulaire propre, fruit d’une vie hors du monde, impose un temps d’adaptation. Certains lecteurs s’y perdront, d’autres y verront une audace littéraire – mais il faut reconnaître que ce choix peut freiner l’immersion immédiate dans le récit. Comme le dit Burl lui-même, certains mots anciens ne disent plus rien, il faut les réinventer… Et c’est bien cela qui désoriente : une langue qui n’est plus la nôtre, mais celle d’un monde effacé, recomposé.
« C’est comme ça que je me rappelle le monde : dans les ombres des feuilles, dans les odeurs de l’humus, dans le chant des oiseaux au matin. »
Un roman contemplatif
La force de Jean Hegland, c’est la forêt, la nature omniprésente, la lenteur du quotidien, les gestes répétés, le silence habité. Mais dans Le Temps d’après, cette contemplation vire parfois à la langueur : l’intrigue avance peu, le rythme s’étire, et l’on se surprend à attendre un souffle, une émotion, qui tarde à venir. Le roman se fait parenthèse, ode à la nature et à la résilience, mais il manque cette tension, cette urgence sensorielle qui animait Dans la forêt. Le roman devient alors un refuge silencieux, mais sans tension dramatique, presque hors du temps.
« Les histoires sont comme des graines : on ne sait jamais ce qu’elles vont devenir une fois plantées »
L’émotion, cette fois, reste en lisière
On ne retrouve pas ici la puissance émotionnelle du premier roman. Là où Dans la forêt vibrait de tension, d’amour fusionnel et de peur de l’inconnu, Le Temps d’après choisit une paix murmurée, moins incarnée, plus contemplative. Eva et Nell, si vibrantes dans Dans la forêt, semblent plus lointaines, et Burl, malgré sa candeur, peine à susciter l’attachement espéré. Le lecteur, parfois, reste spectateur d’un monde refermé sur lui-même, admirant la beauté des descriptions sans jamais être totalement happé par l’histoire.
« Commencer une histoire c’est comme plonger dans une rivière, c’est ce que dit tout le temps Nell, c’est comme sortir une main en coupe toute dégoulinante de l’eau fraîche puisée dans ses flots. Voici un nouveau présent, dit une nouvelle histoire. Bois à longs traits et laisse-le te remplir. »
Un rendez-vous à tenter, mais pas pour tous les lecteurs.
Le Temps d’après séduira les amateurs de prose poétique, de nature souveraine, et ceux qui aiment se laisser porter par une langue différente. Mais il pourra en décourager d’autres, en quête d’émotion ou de rythme. Un livre à ouvrir au bon moment, en acceptant de s’y perdre… ou de rester, parfois, sur le seuil.
Le Temps d’après est un roman à apprivoiser comme un sentier oublié : lentement, prudemment, en acceptant de ne pas toujours comprendre, mais peut-être, au détour d’une page, d’être touché malgré tout. On salue au passage la délicatesse et le superbe travail de la traduction de Josette Chicheportiche, qui parvient à restituer cette langue réinventée sans la trahir.
Le Temps d’après est publié aux éditions Gallmeister.