Archi-favori, quasiment déjà élu Président de la République à écouter ou lire certains « médias », Alain Juppé est resté au bord du chemin, en rase campagne, suite aux primaires de la droite et du centre en novembre dernier. C’est en effet François Fillon, qui, au prix d’une dernière ligne droite aussi inattendue qu’exceptionnelle, a été plébiscité pour représenter le côté droit de l’échiquier.
Gilles Boyer, l’ancien directeur de campagne d’Alain Juppé (AJ), a décidé de prendre la plume pour nous faire vivre ces 800 jours de l’intérieur.
Je remercie les Editions JCLattès ainsi que NetGalley pour cette lecture numérique.
« Gilles, on a un problème, Juppé est trop haut trop tôt »
C’est la fameuse citation que tout le monde a retenu de cet ouvrage et cite. J’en fais de même car elle représente bien, après coup, cette campagne des primaires de la droite et du centre. Campagne… comment est-elle organisée? comment est-elle gérée? amendée?perturbée? Durant 22 courts chapitres, l’auteur nous livre une chronique d’une défaite aussi inattendue qu’impossible « sur le papier ». Ces 800 jours qui l’ont occupé quasiment 24h/24 sont synthétisés dans 270 pages au total.
« Ce métier pourrait s’appeler apparatchik, conseiller plus ou moins spécial, dir cab, spin doctor, collaborateur, bras droit, factotum, éminence grise, entourage, ou tout ça à la fois. Disons apparatchik. Un homme d’appareil, à l’aise dans les coulisses, les combats d’arrière-cuisine, les négociations sous le manteau. Il y a peu d’affection dans le mot apparatchik. C’est un métier qui, à l’image de la politique en général, suscite peu de sympathie et de nombreux fantasmes. »
Après avoir posé les bases, expliqué sa rencontre avec AJ et son embauche à la mairie de Bordeaux, Gilles Boyer s’attache jour après jour à nous livrer détails et anecdotes.
« C’est l’anniversaire de mes filles, nées à deux ans et un jour d’intervalle.
– Papa, je ne veux pas qu’AJ gagne.
– Ah bon, pourquoi?
– Parce que tu vas rentrer tard tous les soirs.
Voilà qui remet les idées en place. «
J’ai dévoré l’ouvrage tellement il se lit facilement. C’est un vrai page-turner! L’écriture est très agréable. Elle est honnête, ironique souvent, piquante parfois. De la langue de bois? Il doit certainement y en avoir, mais honnêtement je n’y ai pas fait attention. Le récit est tellement humain, personnel et émouvant qu’il contraste énormément avec la vision du politique que l’on a en écoutant ou en lisant les médias. Ici, pas de facilité, pas de raccourcis. Au contraire, une vrai recherche dans le style et l’écriture pour rendre le tout utile. Et tout y passe, avec notamment de longues séquences sur les fameux sondages d’opinion.
« Voici le résumé de notre campagne: nous avons répondu aux arguments vrais, mais pas aux arguments faux. Finalement dans cette campagne, nous avons géré le rationnel de main de maître, et nous nous sommes perdus dans l’irrationnel, qui, comme chacun sait, l’emporte souvent »
Les derniers chapitres, plus personnels, sont une vraie introspection (qui est un fil rouge d’ailleurs tout au long de l’opus) et de tentative de compréhension. L’utilisation de la première personne du singulier, « j’ai sous-estimé… », « j’ai sur-estimé… », « j’ai… » est à souligner. Elle montre que Gilles Boyer vit dans le réel et a les pieds bien encrés sur terre.
« Décidément, d’un bout à l’autre, cette histoire n’est qu’ironie ».
Comment rebondir? Telle est la dernière question traitée. Et quand on sait que l’auteur a décidé de se lancer lui même en étant candidat LR aux prochaines élections législatives, on peut en déduire que le virus ne l’a pas lâché et ne le lâchera surement jamais. L’ombre et la lumière comme il l’écrit lui-même. Après avoir tout vu et connu dans l’ombre, il a décidé de devenir acteur dans la lumière.
« Et, chose incroyable, on a même vu des campagnes à l’issue desquelles le favori gagne »
Alors bonne chance Gilles dans ce nouveau beau challenge. La réussite est assurément au bout du chemin… et j’accepterai avec grand plaisir une invitation pour visiter l’Assemblée Nationale et déjeuner dans ce si bon restaurant que vous avez 🙂
« Il est frappant de constater notre tendance à nous focaliser sur des sujets mineurs et notre incapacité collective à débattre de manière apaisée. on est dans le oui/non, le blanc/noir, le pour/contre, alors que la réalité est toujours plus complexe. AJ, homme de modération et de nuance, refusera toujours de se couler dans ce moule. A son détriment? »
Rafraîchissant, intéressant et utile, Rase campagne est une vrai réussite. Il est d’ailleurs finaliste du prix du livre politique (verdict samedi 04 mars).
Si vous aimez la politique ou si vous êtes curieux, n’hésitez pas. Je ne peux que vous conseiller la lecture de cet ouvrage.
4/5
Tu me donnes envies de découvrir ce roman, même si cela risque de me faire mal au coeur de revivre cette défaite… Une victoire aurait vraiment simplifié les choses pour notre pays… Mais bon, je sors du sujet ! Ce qui me plaît, c’est de découvrir les coulisses de la primaire, de comprendre un peu plus la personnalité d’Alain Juppé. Je trouve la citation sur l’irrationnel très juste au passage. Merci !
Merci Patrice. Belle découverte 😉 Je ne suis pas sur que tu apprennes grand chose, mais j’ai bien aimé cette chronologie… A très bientot 😉