Le bureau des jardins et des étangs – Didier Decoin

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Dans le cadre de ma participation au jury Lecteurs du prix L’Express/BFM 2017, j’ai eu la chance de lire dans la sélection du mois de Janvier le dernier ouvrage de Didier Decoin, Le bureau des jardins et des étangs. 

Je remercie l’Express et les éditions Stock pour l’envoi de l’ouvrage.

Dans le bureau des jardins et des étangs, Didier Decoin nous plonge dans le Japon du XIIème siècle en nous relatant l’histoire épique d’une jeune femme frêle Miyuki, veuve de Katsuro fierté du petit village de Shimae. Katsuro pêche les plus belles carpes de la rivière Kusagawa et de ce fait est le fournisseur officiel des étangs impériaux.

« Mais quand les carpes, en se tortillant, plongeraient vers les profondeurs de l’étang, le fantôme de Katsuro disparaîtrait avec elles. Dans un dernier grelot de son rire, un rire d’enfant qui faisait dire à sa jeune femme qu’il ne vieillirait jamais, le pêcheur retournerai à sa mort, à son éternité. Miyuki serait seule à hurler. »

Suite à la noyade tragique de son mari, et afin de garder l’honneur de son village, son épouse décide d’honorer la dernière commande reçue et de livrer elle-même 8 carpes (et non 20 comme il est d’usage) au Bureaux des jardins et des étangs pour orner les bassins des temples d’Heiankyô.

Commence alors un voyage harassant, semé d’embûches et rempli de surprises, véritable pèlerinage amoureux pour Miyuki. Elle y croisera bandits, moines, prostituées, traîtres, et devra contre vents et marées aller de l’avant. Grâce aux expériences et récits de Katsuro, son mari sera toujours auprès d’elle et contribuera grandement au fait que jamais elle ne renoncera dans sa mission.

« C’est alors que, de la bouche de Miyuki, devançant sa réponse, s’envola une petite perle de salive. Au même instant, le soleil déborda d’un nuage, ses rayons frappèrent la gouttelette qui, le temps d’une fraction de seconde, sur son trajet entre les lèvres de Miyuki et le visage de Nagusa, étincela comme un soleil minuscule. »

Une atmosphère, la beauté, la nature et les odeurs omniprésentes, le rythme des saisons, des descriptions visuelles et parlantes, tout est fait dans ce roman pour que le lecteur soit dans un élément serein, agréable, hors du temps, détaché et limite en apesanteur.Et quelle réussite! La dernière partie du roman (le dernier tiers) en est un magnifique exemple: le concours de la création de parfum est relaté avec une telle subtilité, une telle maîtrise… On ne peut que humer l’odeur, la fixer et la garder longtemps. C’est d’une grande précision et d’une belle finesse.

« Là où prospéraient des pâturages et des cultures vivrières, n’affleuraient plus que des espaces de terre brune, caillouteuse, qui exhalaient une odeur de pierre à feu. »

Jusqu’au bout, l’auteur sait nous garder accroché, sait nous surprendre et nous enchantait. La tristesse des derniers chapitres est contre-balancée par les leçons de la vie et l’écriture si délicieuse, sensuelle, délicate et empathique.

Le style est fluide, les mots recherchés, subtilement choisis, les phrases élégantes (notons de nombreux imparfait du subjonctif). L’écriture est poétique, si poétique, souvent chantante et envoûtante. On prend un véritable plaisir à tourner les pages et à cheminer au côté de Miyuki que l’auteur rend particulièrement attachante. L’auteur en profite pour transmettre de beaux messages et inciter le lecteur à s’interroger sur la cruauté, la pauvreté, l’absurdité de certaines règles, la détermination et l’amour d’une femme pour son mari (c’est parfois limite de la soumission…).

« Les dieux avaient crée le néant pour persuader les hommes de le combler. Ce n’était pas la présence qui régulait le monde, qui le comblait. C’était le vide, l’absence, le désempli, la disparition. Tout était rien. Le malentendu venait de ce que, depuis le début, on croyait que, vivre, c’était avoir prise sur quelque chose, or il ‘en était rien, l’univers était aussi désincarné, subtil et impalpable, que le sillage d’une demoiselle d’entre deux brumes dans le rêve d’un empereur. »

Ce livre est une perle dépaysante, une superbe leçon de courage, d’amour et d’humilité. Il ne faut finalement par grand-chose à Miyuki pour être heureuse.  Une fois encore, la magie opère. Didier Decoin nous rend heureux, nous séduit, nous divertit, nous fait rêver tout au long du périple de Miyuki et et au final nous offre le charme et la volupté d’un grand roman.

Je ne peux que vous recommander à 200% cet excellent roman. Un grand moment de lecture!

5/5

Et comme pour l’ouvrage de Tanguy Viel, vous pouvez retrouver ma chronique ici sur le site de l’Express.

prixdeslecteursexpress

5 Commentaires

  1. Un univers très sensoriel et tout de contrastes. Brutal, délicat, marqué par les multiples codes enraidissant le Japon impérial ! Les parfums les plus subtiles cohabitent avec les plus vulgaires….c’est beau, affreux, multiple. Fluides corporels et senteurs
    évanescentes conversent, les personnalités se heurtent pour mieux coopérer….ce livre est un éloge à la sensorialité ; il s’offre pour être senti, ressenti, respiré, caressé !

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