Aventure des 68 premières fois, saison 3 en ce qui me concerne… c’est parti avec ce premier roman de Vanessa Bamberger, Principe de suspension.
Je remercie les éditions Liana Levi ainsi que nos fées Charlotte, Eglantine, Nicole et Sabine pour cette lecture.
« Le couple est une suspension. Un médicament. Un équilibre hétérogène. La disparition d’un solide insoluble dans un milieu liquide ou gazeux. Au début les particules restent en suspension. La stabilité est garantie. Mais avec le temps, il faut agiter le médicament pour le préserver. Sinon, les particules précipitent au fond du flacon et se séparent. »
« Le couple est il soluble dans la crise? » interroge le bandeau de présentation du livre? Plus globalement, cet ouvrage s’interroge en grande partie sur le difficile équilibre entre travail et vie de couple, entre vie privée et vie professionnelle, entre le temps à consacrer à son travail et celui à sa famille. Qui n’a jamais été confronté à cela? Qui est sûr et certain de posséder une réponse indiscutable?
« Dans la chambre de réanimation du Centre hospitalier de Cambregy, l’air est rare et poisseux. Le soleil de printemps, anormalement fort, s’infiltre en fines rayures à travers les stores baissés. Il dépose ses particules de lumière cuivrée sur les murs, où les couches successives de peinture blanche rappellent à Olivia que cette même chambre, cet espace clos et carré a scellé la fin d’autres vies. »
Roman résolument contemporain, Principe de suspension nous conte l’histoire de Thomas, chef d’une entreprise industrielle, et de sa femme Olivia, artiste peintre, sans emploi. Thomas est à l’hôpital dans le coma en début d’opus. Sa femme est à ses côtés, espérant son réveil tout en le craignant.
« Les hommes, tous les hommes, aiment suivre une trajectoire qu’ils pensent maîtrisée, qu’elle soit tracée par un doigt divin ou par la vision idéalisée d’eux-mêmes. Etre plaints ou admirés. ils se fabriquent un personnage. Taillé pour le malheur, voilà ce que Thomas croyait être, le destin qu’il s’était créé, et la vérité est qu’il endossait avec complaisance ce costume d’apparat doublé de compassion orgueilleuse, si brillant qu’il éclipsait tout le reste. C’était une bonne excuse. »
L’auteur a choisi une chronologie, alternant les chapitres du présent et ceux du passé afin de nous expliquer le quotidien (et les soucis) de boss de Thomas et par conséquent nous dévoiler comment il en est arrivé là. On n’échappe pas à quelques clichés bien connus sur les patrons, les syndicats et autres violences du monde du travail. Mais on n’y prête guère attention car ils s’insèrent parfaitement dans l’intrigue.
« Les épaules de Thomas s’affaissèrent. Il n’avait pas besoin d’écouter ce qui allait suivre. il avait compris. Hervouet licenciait sine die la moitié de son unité antiasthmatique, la délocalisation de HFL avait commencé. C’en était fini de la vie de cent personnes, et par extension, de trente-sept autres ».
Thomas est un patron que je qualifierai d’humain, peut-être même naïf, qui a racheté Packinter, une PME dans le plastique. Il lutte contre le déclin et tente coûte que coûte de sauver les emplois. C’est ainsi un combat permanent pour maintenir à flots son entreprise pour Thomas qui est très impliqué et donc fortement exposé. Une mauvaise interprétation ou décision peut-être fatale… Le départ à la concurrence de Loïc, son ingénieur R&D, auteur de sa future grande innovation, va tout faire basculer un hiver…
« Elle a attendu longtemps, le temps du coma, de la maladie, du réveil miracle, de la convalescence. Petit à petit ses yeux se dessillaient tandis que l’ossature de Thomas lui apparaissait, comme un tableau passé aux rayons X dont le mystère s’évanouit.D’une certaine façon la matière réfléchissante qui embellissaient Thomas à ses yeux se dissolvait. »
Sa femme, Olivia, met à profit cette période pour une véritable réflexion sur leur couple. Tout y passe… ce qui les rapproche, mais aussi et surtout ce qui les éloigne. On la sent mal: mal dans sa peau, mal de reconnaissance, mal dans son couple… on pourrait résumer par mal dans sa vie. Plus on avance, plus on sent et voit venir l’inéluctable…
C’est un livre qui se lit vite et bien. Les chapitres sont courts, inégaux dans le contenu et l’intérêt, mais permettant un dynamisme certain. Ciselée, détaillée, subtile mais surtout belle et poétique, l’écriture de Vanessa Bamberger est très agréable. C’est même prometteur pour un premier roman tant tout apparaît si réel, si censé. Nuançons tout de même en précisant que certains passages sont durs et tristes, ce qui met mal à l’aise le lecteur. On se sent parfois un peu acculé, oppressé par l’atmosphère qui se dégage de certains passages voire étouffé par le propos. Je reconnais que cela m’a parfois dérangé.
« Après avoir dépassé deux bâtiments abandonnés, ayant autrefois abrité une fabrique de chaussures et une usine textile, ils longèrent HFL et Thomas put cette fois lire l’inscription sur la bannière blanche accrochée à la façade de verre et d’acier du laboratoire français: SALAUDS DE PATRONS. »
Les allers-retours entre les périodes permettent au lecteur de s’interroger sur la vie du couple, celle du chef d’entreprise avec ses difficultés, et plus globalement sur les délocalisations, la mondialisation et toutes les difficultés du monde actuel. Une belle réussite!
Au final, je recommande cet ouvrage qui, malgré quelques petites imperfections pardonnables pour un premier roman, est une inhabituelle étude sociologique. J’ai ressenti des émotions pour Thomas et Olivia, et ai aimé cheminer à leur côté tout au long des 200 pages de l’opus.
3,5/5
Il fait partie de ceux que j’ai particulièrement envie de découvrir dans la sélection des 68. J’apprécie les romans qui interroge le monde du travail… lorsqu’ils le font bien, ce qui a l’air d’être le cas ici.
Hate de lire ton avis. En espérant ne pas t’avoir induit en erreur… D’un autre côté, chacun a ses propres avis c’est cette pluralité qui fait la richesse du débat.
Eh bien, mon avis est, comme le tien, partagé. Il y a des qualités et des défauts. Contrairement à toi, les clichés que tu soulignes m’ont gênée. J’aurais souhaité plus de finesse dans l’analyse… Mais cela reste un livre agréable à lire.
Merci pour ton retour.
Merci pour la découverte. Je n’en avais jamais entendu parler avant et j’ai bien envie de le lire maintenant !
Ravi de ton commentaire 🙂 Bonne lecture à toi alors 😉 Tu me diras ce que tu en as pensé.
[…] « Veillé par Olivia sa femme, Thomas est suspendu entre vie et mort dans une chambre de réanimation. A bout de souffle après une violente crise d’asthme. Pour lui qui dirige une entreprise fabricant des inhalateurs pour asthmatiques, c’est à la fois paradoxal et ironique. En remontant le fil du temps, on apprend ce qui l’a conduit là, relié à un fil de vie par des tuyaux, des sondes et des respirateurs. Pour lui qui voue une sorte de culte aux machines prévues pour soulager les efforts des hommes, c’est à la fois ironique et paradoxal. Thomas est un patron de petite entreprise mais un patron humain, un patron qui cherche l’admiration, le respect mais aussi l’amitié de ses ouvriers, un patron prêt à tout pour améliorer leur condition et pour maintenir leurs emplois. Cependant ce ne sont ni des motivations politiques ou idéologiques qui guident ses choix, mais un envahissant sentiment de culpabilité traîné depuis l’enfance et la disparition de sa petite soeur handicapée. Ce même manque d’un être cher le relie à Olivia, comme si leur amour ne s’était construit qu’autour de gouffres béants. Olivia qui au chevet de son mari, prend conscience peu à peu de ce qui les sépare davantage que de ce qui les unit. Olivia dont les pensées semblent s’effilocher et se perdre entre espoir de retrouver son mari tel qu’avant et frustration de ne pas vivre une autre vie. Je les ai ressentis comme des errances ces récits alternés entre passé proche pour la vie de Thomas dans son entreprise, et présent pour Olivia dans une salle de réanimation. Des errances entre comptes mal réglés avec l’enfance et quotidien qui échappe à tout contrôle. Des errances grisâtres au milieu des décombres des usines fermées, parmi des êtres comme ruinés de l’intérieur, asphyxiés financièrement, socialement et affectivement par les lois d’un marché qui ne se préoccupe que de rentabilité en repoussant toute notion d’humanité. L’alternance des chapitres joue avec les termes du titre et donne de multiples clés d’interprétation entre ces « principes » sur lesquels Thomas ne peut transiger, au risque de s’en étouffer, et cette « suspension » du temps, de la vie et du couple que constitue le coma dont il est victime et l’attente de son réveil… ou de sa mort. Il a quelque chose d’une tristesse suffocante, ce premier roman étonnant. C’est, en tout cas, ainsi que je l’ai perçu. Comme un constat désespéré des effets de la crise économique, de la sphère publique jusqu’au plus intime de la sphère privée. Comme si, en définitive, les problèmes posés par tous les rapports humains étaient insolubles, inexorablement en suspension dans un milieu défavorable à toute possibilité de se rejoindre et de se mélanger. J’ai beaucoup aimé ce point de vue inhabituel sur les conséquences de la crise économique et sur l’effritement d’un couple et la manière signifiante dont il est traité. Mais j’ai été si sensible à son atmosphère oppressante que je ne suis pas certaine d’avoir envie de le relire. – Merlieux L’enchanteur (Sophie Gauthier) ____________________ Découvrez également les chroniques de : Dominique, Olivier, Héliéna, Nicole, Benoît […]
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