Un paquebot dans les arbres – Valentine Goby

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Après le succès mérité de Kinderzimmer, roman bouleversant au sujet ô combien difficile (le sort des femmes enceintes dans les camps de concentration de Ravensbrück) qui a obtenu le premier prix S.O.S. des libraires 2014, Valentine Goby nous présente son nouvel ouvrage, un paquebot dans les arbres, à l’occasion de la rentrée littéraire de Septembre 2016.

Je remercie Nelly et Actes Sud pour l’envoi de ce livre en avant-première.

« Et si on allait boire un chocolat ? Mathilde refuse, elle ne veut pas mendier, ni être une fille de rechange. Laissez-vous faire dit la directrice. La vie est dure avec vous, vous n’y êtes pour rien, avec moi elle est douce et je n’y suis pour rien non plus. La seule chose possible c’est confier la malchance à la chance, compter sur la contagion vertueuse, vous comprenez ? Ça plait à Mathilde ces mots-là, la contagion vertueuse.»

Inspirée d’une histoire vraie, l’intrigue nous dévoile la vie d’une famille ordinaire et heureuse dans les années 50. Paulot, le père, et Odile, la mère, gèrent ensemble une structure multi-services comme on en trouve tant dans les petits villages. Cet épicerie-bar-tabac-lieu de bals… de la Roche, prénommée le Balto, est l’endroit de vie et de fête au centre du bourg.

« Les flammes tremblent au plafond, font vaciller les ombres et miroiter les vitres, ils passent un Noël de conte »

Ils ont trois enfants : Annie, l’ainée de 16 ans ; Mathilde, le garçon manqué qui a 9 ans et enfin le petit dernier Jacques, le garçon enfin tant souhaité! Leurs vies vont être totalement bouleversées du jour au lendemain lorsque Paulot s’effondre. Le verdict est sans appel : des bacilles plein les poumons, tuberculose. Odile l’attrapera également rapidement.

« L’ennui est pire que la douleur, il n’existe pas de remède chimique à l’ennui »

Maladie, suspicion de contagion, éloignement des « amis », isolement de la famille (Paulot qui attirait les foules et suscitait l’admiration de tous, est devenu le paria), souffrance des enfants à l’école. C’est la fin de la belle époque du Balto. La famille est poussée à le quitter… Crève-cœur pour tous, drame social et familial, c’est la dislocation de la famille. Les parents, sans sécurité sociale, partent au sanatorium. Mathilde et Jacques sont placés dans des familles d’accueil.

« C’est pire qu’un déménagement. Quitter le Balto c’est bruler tout. Les bals, la fanfare, les communions, les apéros, la Sainte Barbe, le 14 Juillet, l’ouverture de la chasse, l’ivresse, le bruit, la danse, les rigolades, les parties de belote, de billard, l’odeur des cigares, la nuit jamais noire. La vie entière est renversée »

Le lecteur suit ensuite l’admirable « combat » de Mathilde, la battante, le petit gars comme l’appelle son père.

« Mathilde est une créature hybride, ni fille, ni garçon, un peu sirène, un peu centaure à sa façon, bizarre. »

Comment ne pas s’attacher à ce personnage d’ailleurs. On ne « lit » pas mais grâce au style de l’auteur, on « vit », on est Mathilde. L’utilisation du présent dans tout le récit y est pour beaucoup.

Les choses sont loin d’être facile pour elle : épreuves, faim, froid, misère, pauvreté, … Passant de l’état d’enfant à celui d’adulte du jour au lendemain, elle fait face et essaye de maintenir à flot sa famille. Face à l’absence d’humanité des services sociaux, elle s’en détache, s’émancipe et prend sa destinée en main.

Admirable de volonté, de ténacité, de résistance mais aussi de fragilité et de doute, Mathilde avance et prend en charge son frère. Elle découvre à son tour l’amour avec Mathieu, rayon de soleil au milieu de la grisaille.

« Mathieu entre avec le slow dans la vie de Mathilde. Il est le slow, cet éloge de la douceur, de la suavité, cette façon neuve d’habiter son corps. »

Elle maintient les liens par des visites chaque week-end au sanatorium, écrit souvent à ses parents. Elle fait tout pour que cette famille démembrée reste unie. A l’exception notable d’Annie, la grande, enceinte et mariée, qui apparait très à distance de tout cela.

« Il faut qu’elle sauve cet amour. Qu’à la façon de Jeanne maintenant, et de son père du temps du Balto, elle enchante l’existence »

Je vous laisse découvrir la suite et la fin…

« C’est une tragédie silencieuse, celle de la famille Blanc au début des années 1960. Un récit en marge, celle de la maladie et de la misère au temps miraculeux de la prospérité, de la Sécurité sociale et des antibiotiques qui semblent clore l’histoire de la tuberculose. »

Voilà un résumé parfait de cet opus qui est avant tout pour moi une formidable histoire d’amour ! Hymne à l’amour, vibrant, marquant, attachant et si émouvant, il est impossible de rester insensible à ce que l’on lit. J’ai été en parfaite osmose, en totale empathie avec Mathilde au fil des chapitres. Son amour indéfectible pour son père, son caractère bien trempé, son courage, sa volonté de fer envers et contre tout m’ont pleinement séduit. Le travail de l’auteur est conséquent. De longues et scrupuleuses phases de recherche ont certainement dû être accomplies par l’auteur afin de nous offrir un si beau portrait de l’époque. Une vraie réussite !

Il en est de même pour l’écriture de Valentine Goby. A l’instar de Kinderzimmer, elle a su parfaitement décrire et romancé ce fait réel. Ce n’est pourtant pas évident de garder le lecteur captivé et intéressé durablement quand on aborde une telle tragédie et que l’on évoque tuberculose, bacilles, sanatorium… Le pari est pourtant gagné haut la main.

« L’air est mou, les formes instables, les visages, les façades, les troncs ondulent et les voies enflent en borborygmes graves. Alors des tessons de lumière tranchent toutes les sangles qui tiennent son corps vertical au-dessus de l’asphalte. Elle tombe dans le blanc »

La plume est superbe. Elle est vive, dense, subtile, parfois directe mais souvent fouillée. Elle est dure et à la fois si tendre, émouvante mais sans pathos, empathique mais pas larmoyante, vivante et attachante.  En un mot c’est remarquable.

 « Elle n’a pas vu les fleurs d’acacia, de châtaignier, de tamaris, des arbres à papillons leur dégradé du rose au blanc, la neige de pollen et pétales les jours de vent, ni les massifs d’hortensias aux feuilles luisantes à présent sous la pluie de juillet, elle n’a pas senti les lilas ni les aiguilles des pins chauffés l’été, l’odeur puissante des résines. Elle ne se souvient pas du sol, des mousses et des racines à ras de terre, des fougères, des muguets, des fraises des bois, elle a bien l’image d’Odile serrant un bouquet de clochettes mais rien n’évoque la forêt dans sa mémoire, les soixante-treize hectares de verdure à la fois rempart vis-à-vis du monde sain, poumon de substitution. »

J’ai été une nouvelle fois bluffé par Valentine Goby. J’ai d’ailleurs pris mon temps pour tourner les pages et avancer dans l’intrigue afin de savourer, profiter au maximum. C’est tout le paradoxe avec cet auteur : on est bien alors que les faits narrés sont tragiques…

Le paquebot dans les arbres est un magnifique roman d’amour d’une grande force, puissant et lumineux. Un énorme coup de cœur qui émeut et a bouleversé l’âme sensible que je suis. Il aura je l’espère un beau succès. Je ne peux que vivement et intensément vous le conseiller.

5/5 COUP DE CŒUR

logochallengerl16

9 Commentaires

  1. Je le commence bientôt, on en parlera dans le Bibliomaniacs d’Octobre 🙂
    C’est un livre que je n’avais pas forcément envie de lire, mais le fait d’écouter Valentine Goby aux rencontres Fnac m’a fait changer d’avis

  2. Belle chronique, Benoît ! J’ai retrouvé un nouveau mot de passe pour pouvoir laisser des commentaires, j’en profite. Et tu dois le savoir, je partage ton point de vue sur ce roman.

  3. J’avoue que la plume de Valentine Goby m’a un peu déçue parce qu’elle avait mis la barre très haut avec Kinderzimmer.

  4. ton billet rend très bien ce que l’on ressent à la lecture. Bravo. Je suis en train de rédiger péniblement le mien, j’ai tellement aimé ce livre, je ne sais comment en parler.

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