Rencontre virtuelle avec Pierre Jacquemain

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Pierre Jacquemain, l’auteur de l’excellent essai Ils ont tué la gauche  aux Editions Fayard a accepté de répondre à nos questions. Un immense merci à lui car comme vous allez le lire, non seulement il assume ses convictions et actes, mais il persiste et signe. Aucune langue de bois dans ses réponses, des anecdotes, des propositions, que du bonheur!

Que vous soyez OK ou pas avec lui, je vous incite à lire ses réponses. Elles susciteront adhésion, rejet mais à coup sûr le débat. Je précise que les extraits mis en exergue en gras sont de ma propre initiative et non celle de Pierre Jacquemain. Bonne lecture à tous.

Vous vous doutiez surement que vous alliez être très critiqué avec ce livre. Alors pourquoi avoir décidé de l’écrire ?

Je remarque que les critiques sont globalement positives. En tout cas, elles me paraissent bienveillantes et constructives – pour ceux qui m’ont lu. Et c’est aussi l’intérêt – sans doute – de ce livre. J’ai pris la décision d’écrire parce que je crois que la politique meurt du silence qui l’entoure. Il faut dire. Il faut libérer la parole. Dans ce gouvernement, seul le discours libéral à voix au chapitre. Aucune autre sensibilité ne s’exprime – même si à l’approche de la présidentielle, on sent bien que les calculs individuels pousse les uns et les autres à sortir du bois. Mais plus généralement, pour ne prendre que cet exemple et illustrer mon propos, nombreux, parmi mes collègues conseillers n’étaient pas favorables au texte de la Loi Travail. C’était le cas aussi dans d’autres cabinets ministériels. Dans les hautes sphères de la République, les petites mains de conseillers que nous sommes, étions majoritairement contre l’orientation politique de ce texte. Certains parlementaires, y compris des non frondeurs, m’ont également écrit pour saluer ma démarche – celle d’avoir parlé et mis en cause le texte publiquement. Le problème, c’est que c’était à eux de parler. Pourquoi s’écrasent-ils tous devant Manuel Valls ? Par loyauté ? Mais loyauté envers qui ? Leurs électeurs ou bien le chef de gouvernement qui trahi la gauche ? Pourquoi Myriam El Khomri n’a-t-elle pas dit publiquement qu’elle était en désaccord avec ce texte ? Pourquoi l’avoir accepté en l’état ? Une chose est certaine, c’est que si elle avait mis sa démission dans la balance, sans doute n’en serions-nous pas là aujourd’hui. Elle a manqué de courage politique. Et de convictions. C’est pour toutes ces raisons que j’ai souhaité écrire ce livre. Pour dire qu’ils ont abandonné les citoyen-nes. Pour dire qu’ils ne font plus de politique. Qu’ils jouent à chaque instant leur poste, leur réélection. Et comme les politiques ont cessé de faire de la politique, les technocrates ont pris le pouvoir. C’est ce que je dénonce dans ce livre. C’est vrai au gouvernement mais c’est vrai aussi dans la plupart des grandes institutions de notre pays. Prenez l’exemple des nominations dans les établissements culturels de l’Etat. On y nomme des technos, des « cost-killers » pas des amateurs, ni plus des artistes ou professionnels de la culture. Ils ne sont pas là pour penser un projet artistique, pas plus un projet politique, ils sont là pour « rationaliser », « gérer ». Traduction : baisser les dépenses et les effectifs. Ils gèrent la France comme on gère une entreprise.

 

Avez-vous subi des pressions ? Avez-vous eu des difficultés à le faire publier ?

Je n’ai subi aucune pression. A l’exception de quelques sms d’intimidation au moment où j’ai quitté le cabinet et où j’ai pris publiquement la parole. Rien de bien méchant. En tout cas pas de quoi me faire reculer sur le combat contre la loi Travail. Et sur ma liberté retrouvée.

 

Vous parlez à moment donné dans le livre d’une censure de l’éditeur. Il y en a eu beaucoup ?

Il n’y a eu aucune censure de l’éditeur. Absolument aucune. J’évoque dans le livre « la censure de l’éditeur » de manière humoristique lorsque je révèle les talents de chanteuse de la ministre – c’était à l’occasion d’un weekend « team-building » dont je parle dans le livre et plus particulièrement d’une soirée karaoké. Je ne voulais pas m’éterniser sur cette anecdote inintéressante. C’est pour épargner le lecteur que j’ai parlé, avec ironie, de « censure ».

 

Ce que vous décrivez est affligeant, même terrifiant quand on ne connait pas les affres du milieu politique. Vous avez privilégié vos convictions, c’est tout à votre honneur. Retravaillerez-vous dans le milieu politique ? ou est-ce définitivement fini ?

Pour faire de la politique, il faut avoir des convictions. J’en ai depuis longtemps. Je viens d’un milieu modeste, j’ai perdu mon père – élu communiste – à l’âge de 15 ans. J’ai donc très vite pris conscience des inégalités et des injustices qui m’entouraient. Il y a mille et une manière de « faire » de la politique. J’ai une longue – et heureuse – expérience auprès d’élu-es à Paris. J’ai vu comment le et la politique pouvaient changer le quotidien, et l’améliorer, du plus grand nombre. Je me réjouis d’avoir pu contribuer, à mon modeste niveau à cela. Et puis j’ai une courte expérience, désenchantée, au ministère du Travail. J’ai envie de passer à autre chose. D’abord parce que dans les cabinets ministériels, on est totalement déconnecté de la vie réelle. Et surtout parce que je ne crois pas dans ce gouvernement. En revanche, je crois dans la capacité du politique à changer la donne. Mais il nous faut nous renouveler. Renouveler les idées, renouveler les pratiques militantes – les rendre plus joyeuses comme le plaide à raison l’humoriste Guillaume Meurice. Et remettre les citoyens au cœur de la réflexion politique. Ils sont les experts du quotidien. La politique ne peut plus être l’affaire de quelques technocrates bien nés qui savent mieux que tout le monde ce qui est bon pour le peuple. Ça suffit. Donc il faut renouer avec les intellos, la pensée, les citoyens, les artistes aussi. En rejoignant la revue Regards – qui reste une autre manière de faire et de nourrir la politique, j’espère pouvoir contribuer à enrichir ce débat dont nous avons tant besoin.

 

Avez-vous été contacté par Manuel Valls ou François Hollande suite à vos révélations ?

Non. Je sais simplement que le Président de la République a contacté la ministre du Travail, fort mécontent de mes déclarations publiques, pour savoir comment elle avait pu recruter quelqu’un comme moi (rires). La ministre lui aurait répondu : « tu sais François, quand on est de gauche, je comprends que l’on n’ait pas envie de rester silencieux devant cette loi ». Cela se passe de commentaires.

 

La dernière partie du livre est une ébauche assez poussée d’une redéfinition de la politique. Qu’est-ce que pour vous la Gauche aujourd’hui ? La Droite ?

D’abord, je crois profondément au clivage droite/gauche. Il n’a rien d’archaïque. En politique, il faut du conflit. Il faut du débat. Faire de la politique – me semble-t-il – c’est prendre parti. Considérer qu’il y a du positif à droite (sur les questions économiques généralement) et qu’il y a du bon à gauche (sur les questions sociales le plus souvent) est parfaitement contradictoire. C’est une entourloupe. Une imposture. Quand on est libéral, quand on pense l’individu avant « l’ensemble », quand on valorise les intérêts privés au détriment du collectif, on est de droite. Être libéral, c’est être de droite. Être de gauche, c’est penser le collectif. Je ne crois ni au consensus mou ni au compromis. C’est pourtant l’expérience que nous en faisons depuis plus de trente ans. Aujourd’hui nous n’avons pas besoin d’une énième alternance, mais nous avons besoin d’une véritable alternative. Elle doit être porteuse d’espoir, de radicalité, de transformation sociale et écologique pour changer et améliorer le quotidien du plus grand nombre. Et cela passera nécessairement par une révolution institutionnelle, parce que la Vème République est arrivée à bout de souffle. Nous devons réinventer nos institutions.

 

Vous proposez quelques pistes. Clivantes, mais correspondant à vos idéaux donc convictions et visions du futur. Est-ce à dire que Pierre Jacquemain souhaite s’engager ? Etre acteur de cette ®évolution ? Une candidature aux législatives ? un nouveau mouvement ? (En route vers le futur ? 😉 )

Je pense que le monde se fout de savoir si j’ai une quelconque prétention politique. Mais pour être clair, ça n’est pas mon intention. Aujourd’hui, je vous l’ai dit, mon ambition se porte de la mobilisation citoyenne et du renouvellement de la pensée, des idées. Il faut créer des passerelles pour faire du neuf à gauche entre ces univers. La revue Regards peut être cet espace de rencontre, de débat, de production aussi. Et c’est à travers cette revue que se poursuit mon engagement aujourd’hui.

 

Débattre, argumenter, proposer des solutions… le fond avant la forme. Aujourd’hui c’est plutôt la forme avant le fond, l’intérêt personnel avant le collectif. Est-ce selon vous une des raisons majeures du désamour et du désintérêt des français pour la politique ? Ou doit-on y associer libéralisme, austérité, etc. ?

Oui. L’élection présidentielle est d’ailleurs la parfaite illustration de l’hystérie du champ politique. Il faut d’ailleurs supprimer cette élection. Le Président de la République française est plus monarque que la Reine d’Angleterre. Ça n’est plus possible. Donc il y a un peu de ça dans le désintérêt des Français pour la politique. Mais la crise est plus profonde. Plus grave. D’alternance en alternance, de droite à gauche et de gauche à droite, les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent. A chaque fois que la gauche a été en responsabilité, elle a déçu. Le FN, après Mitterrand et Jospin en est toujours sorti plus fort. Après le quinquennat de Hollande, le FN gagne près de dix points ! C’est très inquiétant. Les Français ne croient plus dans la capacité des politiques à transformer leur quotidien pour l’améliorer. C’est pour ça que je parle de la nécessité d’offrir une alternative nouvelle. Elle ne peut pas être le FN qui entend diviser les Français et dont la logique économique vise à précariser et stigmatiser toujours plus les plus modestes. Non, il faut de la volonté politique et de la détermination pour engager la transition énergétique – un million d’emploi à la clé-, pour imposer la semaine de quatre jour, pour augmenter les salaires, passer à la VIème République, pour encadrer les loyers, pour investir dans les transports publics et leurs infrastructures – afin de redonner un souffle nouveau à notre industrie.

 

Une dernière question : Avec une baguette magique, que changeriez-vous dans le proche passé ? et que choisiriez-vous de mettre en avant dans un futur proche ?

L’urgence, elle est sociale, elle est écologique. Mais nous ne changerons rien à tout cela tant que l’urgence démocratique ne nous conduira pas à changer nos institutions. Donc la priorité c’est la suppression de l’élection du président de la République française, la mise en place de la proportionnelle à l’Assemblée nationale, la redéfinition du Sénat avec pourquoi pas des citoyens tirés au sort. Il faut que les citoyens prennent le pouvoir, c’est la priorité.

Avec la campagne des présidentielles qui démarrent et celle de la primaire de la Droite et du Centre qui bat son plein, je réfléchis à une nouvelle rubrique Débats sur le blog. Vous en pensez quoi? Toutes les idées sont bonnes, ne soyez pas timides!

1 COMMENTAIRE

  1. Lu et très intéressée, forcément. Mais pourquoi écris-tu que l’auteur a accepté de répondre à « nos » questions. A qui ce nos fait-il référence ? Et de quelle manière se fait cet interview virtuel ?

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