Petit pays – Gaël Faye

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Au départ, c’est une chanson de l’album Pili Pili sur un croissant au beurre de l’artiste auteur interprète Gaël Faye. Et puis c’est devenu un livre, un premier roman sorti à l’occasion de la rentrée littéraire de Septembre 2016.

« Si l’on est d’un pays, si l’on y est né, comme qui dirait : natif natal, eh bien, on l’a dans les yeux, la peau, les mains, avec la chevelure de ses arbres, la chair de sa terre, les os de ses pierres, le sang de ses rivières, son ciel, sa saveur, ses hommes et ses femmes… »

Je remercie les éditions Grasset et NetGalley pour cette lecture numérique en avant-première.

Le narrateur, c’est Gaby, un jeune Franco-Burundais qui passe son enfance au Burundi, ce petit pays à la frontière rwandaise avec ses parents et sa sœur Ana. Il est tutsi, et même s’il vit une enfance aisée et agréable, dès le plus jeune âge il est confronté à des réflexions.

« J’ai entendu un élève dire : Regardez, c’est un Tutsi, avec son nez. Le fond de l’air avait changé. Peu importe le nez qu’on avait, on pouvait le sentir. »

Il est comme tous les enfants. Son innocence, sa naïveté font qu’il ne comprend pas la portée de celles-ci. Pour lui, les raisonnements sont plus terre à terre. Ce qui l’intéresse, c’est la bande de copains et l’impasse, ce territoire rien qu’à eux où ils se retrouvent, voler (et revendre) les mangues dans les jardins, l’échange épistolaire avec sa correspondante française, l’école française.

« J’aime l’école pour les copains et l’ambiance mais pas les cours. Grammaire, conjugaison, soustraction, rédaction, punition, c’est la barbe et la barbarie ! Plus tard, quand je serai grand, je veux être mécanicien pour ne jamais être en panne dans la vie. Il faut savoir réparer les choses quand elles ne fonctionnent plus. Mais c’est dans longtemps tout cela, je n’ai que 10 ans et le temps passe lentement »

Petit à petit, il voit son petit pays et le pays voisin basculer dans la terreur… éloignant à tout jamais l’innocence de l’enfance et le plongeant dans un monde terriblement dur. Mais point ici de larmes, plaintes ou complaintes, pathos ou autres étalages macabres, le néo-écrivain a fait des choix clairs.

« Pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profonde de ce pays. J’ai découvert l’antagonisme hutu et tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d’un camp ou d’un autre. Ce camp, tel un prénom qu’on attribue à un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait à jamais. Hutu ou tutsi. C’était soit l’un soit l’autre. Pile ou face. Comme un aveugle qui recouvre la vue, j’ai alors commencé à comprendre les gestes et les regards, les non-dits et les manières qui m’échappaient depuis toujours. La guerre, sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais. »

Etre obligé de prendre parti, subir les violences, les peurs, les coups d’Etat. Survivre plus que vivre.

« Plus tard, j’ai appris que c’était une tradition de passer de la musique classique à la radio quand il y avait un coup d’Etat. Le 28 novembre 1966, pour le coup d’Etat de Michel Micombero, c’était la Sonate pour piano n°21 de Schubert ; le 9 novembre 1976, pour celui de Jean-Baptiste Bagaza, la Synphonie n°7 de Beethoven ; et le 3 septembre 1987, pour celui de Pierre Buyoya, le Boléro en do majeur de Chopin. Ce jour-là, le 21 octobre 1993, nous avons eu droit au Crépuscule des dieux de Wagner. Papa a fermé le portail à l’aide d’une grosse chaîne et de plusieurs cadenas. Il nous a ordonné de ne pas quitter la maison et de nous tenir éloignés des fenêtres. Puis il a installé nos matelas dans le couloir à cause du risque de balles perdues. Nous sommes restés toute la journée allongés par terre. C’était plutôt drôle, on avait l’impression de camper dans notre propre maison »

Au milieu de cette horreur, il y a heureusement des bouées de sauvetage, des bouffées d’oxygène, des moyens de rester éloigné du drame. il y a la vieille, Madame Economopoulos, avec ses pensées, sa patrie et sa bibliothèque si fournie. Et donc il y a forcément la découverte des livres, la lecture qui sauvera Gaby. Dans ce roman très autobiographique, il est facile de faire le parallèle avec l’écriture qui « sauvera » Gaël Faye.

« Bien sûr, un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme un coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la rencontre aura lieu. IL faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis ».

Enfin, il y a l’exil en France, son pays aujourd’hui. Mais il reste hanté par son petit pays, cet impossible retour vers le passé.

« Il m’obsède, ce retour. Pas un jour sans que le pays ne se rappelle à moi. Un bruit furtif, une odeur diffuse, une lumière d’après-midi, un geste, un silence parfois, suffisent à réveiller le souvenir de l’enfance. « Tu n’y trouveras rien, à part des fantômes et un tas de ruines », ne cesse de me répéter Ana, qui ne veut plus jamais entendre parler de ce « pays maudit ». Je l’écoute. Je la crois. Elle a toujours été plus lucide que moi. Alors je chasse cette idée de ma tête. Je décide une bonne fois pour toutes que je n’y retournerai plus. Ma vie est ici. En France. Je n’habite plus nulle part. »

Une fois n’est pas coutume, j’ai été long sur la trame du roman. Je n’ai pas voulu spoiler ou vous gâcher la découverte. J’ai avant tout souhaité souligner que le passage de l’état d’enfant à celui d’adulte avait été précipité pour Gaby. Innocence et espoir envolés en un clin d’œil. Besoin de se reconstruire, de survivre au milieu de l’horreur, acte de résilience. Telle est la difficile mission que cet ouvrage réussit à exécuter avec les honneurs grâce au talent d’écriture de Gaël Faye.

Le choix de la vision de l’enfant est tellement judicieux. Douceur, malice, candeur font qu’il n’y a pas d’excès ou de colère lors de la narration des scènes de violence aussi terribles soit elles. Mieux que cela, l’auteur arrive parfois à nous faire sourire tant son écriture peut être légère alors qu’il évoque une guerre civile.

En opposition, elle sait aussi être dure, brutale, violente, âpre, tranchante. Il y a beaucoup de messages dans ce livre, d’appels à la réflexion tant il y a de sujets traités et abordés : les relations noir/blanc en Afrique, les rapports local/expatrié, la richesse vs la pauvreté, les exodes et les réfugiés, les insuffisances, limites (œillères ?) de l’action internationale… Roman politique, roman d’actualité qui fait clairement résonance avec tout ce qu’il se passe aujourd’hui.

« J’érigeais mon bonheur en forteresse et ma naïveté en chapelle. Je voulais que la vie me laisse intact. »

Incontestablement il faut souligner la plume de l’auteur : belle, poétique, subtile, musicale, lumineuse. Ce n’est certes pas littéraire (l’inverse n’aurait pas été compréhensible avec le choix de faire parler un enfant) au sens strict du terme, mais elle est touchante et évocatrice.

Rappeler les horreurs du génocide, l’absurdité des conflits, les blessures ineffaçables, analyser après coup et non dans l’immédiateté, forcer à la réflexion, rendre hommage à l’enfance, autant de sujets qui interpellent le lecteur et ne peuvent le laisser indifférent.

« Mes souvenirs se superposent inutilement à ce que j’ai devant les yeux. Je pensais être exilé de mon pays. En revenant sur les traces de mon passé, j’ai compris que je l’étais de mon enfance. Ce qui me paraît bien plus cruel encore ».

Beau, fort, dur, émouvant… ce roman d’apprentissage est assurément une des belles et grandes surprises de cette rentrée. Je souhaite à Petit Pays tout le succès qu’il mérite. C’est d’ailleurs bien parti avec l’obtention du Prix du Roman Fnac 2016.

Petit Pays m’a profondément ému et marqué. Je l’ai lu deux fois et vous le recommande sans aucune hésitation.

COUP DE CŒUR, lecture indispensable

5/5

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13 Commentaires

  1. complètement convaincue par ton billet! je suis ravie que ce livre ait reçu le Prix Fnac, ça lui donnera plus de visibilité car il semble être très bien écrit, et très profond, et les thèmes abordés sont importants et marquants. Une de mes prochaines lectures !

  2. Ouh la après une telle chronique je ne pense pas que je pourrai faire aussi bien quand je publierai la mienne. Douceur et violence se confondent dans ce formidable roman. Tu as parfaitement bien résumé les choses, très très belle chronique !

  3. Tu me fais sacrément envie dis moi ! Lire un livre deux fois d’affilé, ça ne m’arrive pas souvent. Je ne peux pas passer à côté d’un tel coup de coeur 🙂

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