Appartenir est le premier roman de Séverine Werba. Roman et/ou récit autobiographique, il est difficile de réellement différencier les deux. Ce qui est certain, c’est que c’est un écrit très fort et marquant pour le lecteur. On n’en ressort pas indemne.
Je remercie les éditions Fayard pour cette lecture numérique.
Avant même d’ouvrir le roman, on est intrigué par cette belle couverture et ce titre énigmatique. La quatrième de couverture nous en dit un peu plus et on imagine rapidement que la lecture ne sera pas de tout repos…
La nécessité de chercher s’étale sur ma vie depuis la naissance de ma fille, fragilisant l’équilibre entre travail et famille, prenant une place nouvelle qui m’accapare et me renvoie à moi-même. Une sensation intime, pas raisonnable mais nécessaire, difficile à partager. Comment expliquer que les morts reviennent. Qu’il me faut revenir à la guerre alors que ma fille vient de naitre, que je reprends mon travail.
Voilà en un passage l’essentiel de la raison d’être du roman.
Séverine ne sait rien de Boris son grand-père. De la guerre, de la déportation, de la mort de ses proches, Boris n’a jamais rien dit. C’est à la naissance de sa fille que Séverine a eu envie d’en savoir plus, de comprendre, de connaitre, de combler ce vide sur l’histoire familiale et de s’inscrire dans une appartenance.
La vie devrait regarder droit devant. C’est pourtant dans ce passé qui n’est pas le mien que se joue le reste de mon existence. Rien ne me parait plus important que de me souvenir et de les retrouver.
Séverine se lance dans une enquête fouillée pour redonner vie à ses ancêtres. Elle recherche les livres Russes et Yiddish de Boris qu’elle a donnés à une bibliothèque, les rues dans lesquelles vivaient Rosa, la sœur de son grand-père et leur petite Lena, 2 ans, avant leur rafle au Vel d’Hiv et leur déportation (extrêmement émouvant tout ce qui touche à Lena dans cet opus…), écrit aux archives ukrainiennes et finit par partir une semaine seule en Ukraine sur les traces du passé…
Si certains passages du livre ont déjà été abordés à de nombreuses reprises dans d’autres ouvrages (comment ne pas penser à Elle s’appelait Sarah de Tatiana de Rosnay), il en est différent pour les massacres de la communauté juive en Ukraine. La mise sur le devant de la scène des massacres par balles en Ukraine est « aussi instructif que dérangeant » : les massacres de Loutsk, les juifs creusant leur propre fosse avant d’être exécutés d’une balle dans la tête à la chaine… un pan des plus tristes de notre Histoire … Ce voyage en Ukraine est le moment fort du livre sur lequel l’auteur revient dans la fin du livre. On y trouve des situations émouvantes et fortes, mais aussi des phrases piquantes voire choquantes…
En Ukraine, l’histoire des Juifs est clandestine. C’est certainement le plus douloureux. Le peuple ukrainien ne questionne pas officiellement sa responsabilité dans les massacres. Il se sent étranger à cette histoire qui est aussi la sienne. Indépendante depuis 1991, l’Ukraine choisit ses nouveaux héros parmi ses figures nationalistes fascistes du XXème siècle, tueurs de Juifs, mais cela n’a aucune importance. Les Ukrainiens ont souffert, les Russes aussi, et dans ces méandres tragiques, chacun revendique son droit au souvenir et son plaidoyer mémoriel. « Ils n’ont qu’à faire le boulot, m’avait dit Archi. Les Juifs l’ont bien fait » avait-il conclu. « Ukrainian history is not so clean » était sa formule.
L’écriture de Séverine Werba est parfaite pour ce genre de récit historique et chronologique. Les chapitres sont souvent courts, ce qui permet au lecteur de respirer. Étant donné l’intensité et la gravité des thèmes, c’est fort appréciable. Quant au style, il s’adapte également parfaitement aux événements narrés: souvent grave et respectueux et avec une certaine distance, ce qui permet au lecteur d’ingurgiter les faits et les juger sans influence. C’est pour moi un quasi sans faute de l’auteur de ce côté-là.
Je conclurai en disant que c’est un premier roman très réussi, sur un sujet délicat. Dérangeant pour le lecteur, il est impossible de tourner la dernière page sans avoir les mêmes questions que l’auteur : quelle trace laisse une vie ? A quoi sert-elle ? Quelle place a-t-elle dans l’Histoire ? Et moi, est ce que je connais ma propre histoire ? Est-ce que je connais mes origines ? Celle de ma famille, parents, grands-parents ? Ce qui m’a façonné et m’a permis de me construire ? etc…
Je ne peux que vous conseiller de lire ce livre poignant et marquant sur son appartenance à l’Histoire.
4,5/5
Citations :
- Ce monde n’est plus, emballé et vendu à la mort de mon grand-père. Pourtant il reste gravé en moi, portant en lui le mystère de ses origines lointaines, et le gout des tartines de pain azyme à la Vache qui rit trempées dans le Nesquick. Ce que je ne vois pas, mais qui agit déjà comme un poison lent dans mes veines, c’est la tristesse qui recouvre tout. Une partie de moi est restée dans cet appartement, obscurément liée aux secrets emmurés.
- Propulsées par leur mariage au cœur du danger, elles ont fait face. Elles n’ont jamais dit que la guerre avait joué contre elles. Et pourtant, comment ne pas être écrasées par l’histoire de leur mari, probablement au détriment de la leur ? Par leur souffrance et leur chagrin.
- L’une d’elles est écrite par une employée qui se plaint de sa patronne aux Questions juives : « Mais enfin, rendez-vous compte, ne Juive, monsieur le Commissaire, pour moi qui suis Française, n’est-ce-pas une honte ? »
- L’antisémitisme était naturel, les pogroms existaient bien avant l’arrivée des nazis.
Nous avons relevé les mêmes points ( du déjà lu mais une bonne approche innovante du ressenti ukrainien). Un bon premier roman mais pas un coup de coeur.
Ce n’est pas un coup de coeur non plus, mais cela reste un excellent 1er roman. Surtout avec un tel sujet…
[…] de Marie, une note maximale pour Quelqu’un pour qui trembler et de très belles notes pour Appartenir ou Preuves […]