Tambora – Hélène Laurain

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Tambora Hélène Laurain Verdier
Tambora Hélène Laurain Editions Verdier

Les secousses d’un corps, les secousses du monde

Dans Tambora, Hélène Laurain fait entendre la voix singulière d’une mère confrontée à l’aventure brutale de la maternité : donner vie à un second enfant, la Petite, tout en étant hantée par la mémoire d’une fausse couche. La présence de l’ainée, la Grande petite, est également tangible dans le récit. Oscillant entre espoir et inquiétude, urgences médicales et alitement forcé, l’autrice pose un regard sans concession sur le corps féminin, lieu de mise au monde autant que de mise en danger, livre une analyse crue de notre monde qui s’effrite, et pose une question vertigineuse : quel avenir laissons-nous aux générations suivantes ?

« Cette attente d’un battement, la médecine l’appelle fausse couche silencieuse. Rarement on aura juxtaposé autant d’euphémismes. Un néant sans bruit, un rien du tout feutré, un raté invisible.
Entendons-nous bien : silencieux est impératif. Tu vas accoucher pour de faux, et après : on ne t’entendra pas. »

La maternité : corps, crises, confinement

Tambora noue subtilement l’intime et le collectif. Maternité rime ici avec hospitalisations, attentes et deuil, mais aussi avec un monde extérieur qui vacille, frappé par le confinement et la catastrophe écologique, échos modernes de l’éruption du volcan Tambora en 1815 qui plongea la Terre dans l’obscurité. La maternité vécue par la narratrice se confronte ainsi à une histoire humaine fragilisée, la violence de l’événement géologique venant métaphoriser celle de la transformation corporelle et psychique que traverse la mère. Certains lecteurs pourront s’égarer dans les lenteurs ou la déconstruction du récit ; mais c’est précisément dans ces failles que réside sa force. Un texte exigeant, souvent déroutant, mais jamais vain.

« Mes filles sont ces villes en expansion, confrontées à l’étriqué de l’univers parental, de cette chose qu’ils appellent la vraie vie, le dehors si peu ample, délimité comme la bêtise, comparé aux confins de la vie intérieure. Mes filles bourrines, les filles crados, aux muscles secs, à l’obstination grave, des villes. »

Une écriture qui saisit la beauté brute

Hélène Laurain aborde son sujet avec une crudité frontale – point de clichés ici : bien au contraire, c’est sans filtre, mêlant récit, réflexion et éclats poétiques en vers libres. Sa phrase est parfois âpre, jamais décorative, cherche une forme « qui dise le contemporain », pour reprendre ses propres mots. L’écriture refuse la consolation facile et se nourrit d’un va-et-vient incessant entre l’angoisse sourde et des instants de grâce. L’écrivaine interroge aussi la condition d’écrire, glissant dans la trame les doutes d’une autrice sur son manuscrit et la vie réelle, pour faire résonner cette incertitude existentielle.

« Depuis que la catastrophe se dessine plus nettement
que les dystopies sont rattrapées par le réel
l’impression est là de tout voir
tout goûter
pour la dernière fois. »

Dense et vibrant, Tambora s’avance comme un texte de lave : brûlant, chaotique, traversé d’une beauté minérale. Un livre qu’on ne lit pas, mais qu’on encaisse comme une secousse. Et qui donne envie de se plonger dans Partout le feu, pour suivre cette voix singulière jusque dans ses premières brûlures.

Tambora est publié aux éditions Verdier. Il fait partie des romans de la première liste du Prix Goncourt 2025.

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