Bellevue – Claire Berest

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Bellevue

Bellevue est le troisième roman de Claire Berest, jeune écrivaine française. Il est aussi émouvant que marquant, parfois même dérangeant. C’est en tout cas une très belle réussite.

Je remercie les éditions Stock pour cette lecture numérique en avant-première.

« Se faire sauter, pour une femme, concrétise l’idée du sexe d’une manière curieusement passive. Se faire sauter pour une femme, induit une prise en charge du plaisir de l’autre, cette incontournable envie chez l’homme de jouir. Encore et encore. Un train dans un tunnel qui se dirige sans alternative possible vers la sortie. Un besoin de se soulager, de jeter quelque chose hors de soi. Sont-elles si douloureuses ces réserves de sperme entassées pour qu’accompagne systématiquement leur expulsion et leur perte un cri superstitieux de ravissement ?[…]

Dès les premières lignes du livre, le ton est donné : ça sera brut, cru, inattendu, déroutant, sans fard. En général, ce genre d’écriture ne me plait guère, mais quelque chose me disait qu’il fallait que je lise cet ouvrage. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que j’ai bien fait.

« C’est donc cela, la trentaine. Une fêlure sans éclair, un empoisonnement discret, un meurtre sans préméditation. Je m’aperçois que certains mecs d’un soir sont plus jeunes que moi, à présent. Le sexe est plus disponible, l’amour devient fuyant »

Alma a 30 ans, vit avec Paul, possède un vrai ami, Auguste, toujours la quand elle a besoin. Sa vie est agréable : elle sort au spectacle, va au restaurant, part en weekend. Rien à redire de ce côté-là, et pourtant… un rendez-vous avec Thomas B., écrivain, éditeur, beau gosse, le jour de son anniversaire va tout chambouler et la faire basculer du côté obscur.

« L’amitié prend l’autre en charge dans son absolue et sordide entièreté, comme les mères, elle prend en charge e quotidien et l’exceptionnel au coude à coude sans autre transition qu’une reprise de souffle, les amis sont prêts à tout traiter, la vie, la mort, c’est d’accord. Le véritable ami que l’on rencontre ressemble à une déflagration. »

Crise de panique, angoisse incontrôlable, agressivité, violence (automutilation), «  pétage de plomb » (son déchainement sur le portable de Paul est épique!), sexe (fréquentes crises de nymphomanie), alcool massif… Alma n’est plus elle-même durant 48 heures. Elle se réveillera à Bellevue, un hôpital psychiatrique. Pourquoi est-elle là ? que s’est-il passé ? Alma ne se souvient de rien.

« Je suis affolée par ce que je viens de lui dire, le flot de paroles sorti de ma bouche me surprend la première, comme si j’avais perdu le contrôle non seulement de la situation, mais de moi-même.
Thomas resté coi, ses sourcils suspendus en deux arches, hésite. Il est estomaqué par sa violence, son impertinence, elle a le corps secoué, une veine de son front palpite, prête à exploser, il discerne alors la couleur de ses yeux plus nettement, ils ne sont pas juste noirs, ils sont assombris. »

Durant un peu moins de 200 pages, Claire Berest alterne entre le moment présent (le quotidien de Alma aux urgences psychiatriques) et les événements survenus durant les derniers deux jours. Alternant les rythmes, augmentant la tension, cette construction donne une vraie dynamique à la lecture en imposant son propre tempo. Elle entretient aussi pleinement le suspense. On ne peut lâcher le roman, on veut comprendre, on veut savoir et par conséquent, on tourne les pages rapidement. C’est une histoire qui se lit quasiment d’une traite. L’auteur a parfaitement su nous tenir en haleine et nous donner envie.

« Dans ma famille, on dit le cœur, qui n’en a pas en meurt, on dépose une goutte de champagne derrière l’oreille des enfants nouveau-nés, on collectionne les grammaires anciennes, on ne parle pas de sexe, on part se promener quand on est fâché, mais on évite de claquer la porte, on ne croise pas les bras quand on trinque, à Noël on laisse dehors un verre de vin pour le père Noël, à Pessah on laisse un verre de vin à table pour le prophète Elie. Dans ma famille il ne serait venu à l’idée de personne de se couper un bras intentionnellement et moins encore qu’une telle pratique existât. Subjonctif imparfait »

L’autre gros point fort de ce livre est la plume de l’auteur : si vive, intelligente, si sensible, si expressive, très explicite et visuelle. On ressent intensément ce que vit Alma. On souffre avec elle, on délire avec elle, … C’est oppressant et dérangeant tellement le style met à nu le personnage principal. On a l’impression de tout voir, tout savoir, tout vivre. C’est rare de telles émotions !

Il n’y a pas que des mots crus. En fonction des messages à faire passer, elle sait aussi être très belle, utilisant de longues phrases fluides, aux mots subtilement choisis qui nous font réfléchir, douter.

« Est-ce que je dis libre pour qualifier un sentiment que je ne parviens pas à décrire ? Je parle du sentiment rare où le point d’ancrage s’évanouit. S’apercevoir quand on s’y attend le moins que nos points de vue fondamentaux sont finalement relatifs et qu’il s’en faudrait de peu pour balayer nos évidences et assembler le puzzle de notre vie tout à fait différemment de ce qui était prévu »

Elle est enfin acerbe et piquante pour dénoncer et faire passer des messages à propos de l’apparence, du sexisme, etc…

« J’ai décidé de devenir serveuse quand mon éditeur, après avoir éclaté d’un rire franc à ma demande d’à-valoir avait conclu : « Vous n’avez qu’à vous mettre avec un homme riche si vous avez besoin d’argent ». CQFD. Ah ah ah, j’ai dû rire aussi lâchement et me taire. Se demander s’il aurait osé dire cela à un jeune écrivain homme. Je savais qu’il ne fallait pas le faire, il ne fallait pas se le demander, il fallait que cela glisse, que cela glisse. La rage finirait par s’épuiser. Je suis devenue serveuse, ce faisant, je n’étais plus écrivain, no ambitieuse, j’étouffais mon ego, pour ne me concentrer que sur des tâches »

Je ne m’attendais pas à une telle expérience quand j’ai choisi de lire cet opus. J’en ressors conquis par Claire Berest que je suivrai dorénavant. Court mais intense et marquant, je vous conseille Bellevue, même s’il n’est pas destiné à tous, âmes sensibles ou fragiles, s’abstenir…

4,5/5

D’autres avis :

http://mesmiscellanees.blogspot.com/2016/01/bellevue-claire-berest.html

https://sophieadriansen.wordpress.com/2016/01/28/bellevue-claire-berest/

http://lismoisituveux.com/bellevue-claire-berest/

Challenge-Rentrée-littéraire-janvier-2016

7 Commentaires

  1. Je suis en plein dedans.
    Je ne suis pas aussi enthousiaste que toi mais il est vrai qu’on est impatient de connaître le pourquoi du comment de cette histoire. L’écriture cash me plaît bien.
    J’attends de connaître la fin pour me faire une opinion définitive.

    • Bonne fin de lecture Virginie. Je trouve qu’il est vraiment marquant, et que la structure du livre est parfaitement trouvée. Et la plume est d’une expressivité rare…
      Hâte de lire ton avis 😉

  2. ah ! ça me fait plaisir de te lire ! on a le même avis : un bouquin très fort ! l’histoire me poursuit encore depuis début janvier où je l’ai lu ! Vraiment bon !!!
    bises

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