Fils du feu Guy Boley

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Fils du feu est le premier roman de Guy Boley. Il parait aux éditions Grasset en cette rentrée littéraire de Septembre 2016.

Je remercie Netgalley ainsi que les éditions Grasset pour cette lecture numérique en avant-première.

« Le lendemain dimanche, papa ne mégota pas et n’alla pas chercher dans de vagues fourrés de ces matériaux minables avec lesquels d’ordinaire on fabrique les arcs : branches de noisetier, crossettes de vigne ou de figuier, ramilles d’épicéa ou courçons d’arbousier qu’il estimait indignes de moi, fils de forgeron, donc fils du feu, donc fils de roi. Les arcs en bois étaient affaire de mécréant, de Maure ou d’Ottoman. Une seule matière était noble : le fer »

Ce qui marque incontestablement quand on ouvre cet ouvrage, et ce dès les premières lignes, c’est l’écriture. Une rencontre, un véritable choc tant elle est travaillée, pure, concise, subtile et riche. On voit clairement que l’auteur y apporte un soin tout particulier, y attache beaucoup d’importance et ce à chaque phrase qu’il couche sur le papier.

« La lumière d’un tableau participe certainement d’un même mouvement de soi. Qui sait si la lumière qui sourd de la matière que l’on pose sur une toile n’est pas née, elle aussi, d’un grand choc de planètes, d’un grand chaos d’étoiles, d’une conscience qui se meut par-delà le mouvement ? Quelque chose qui pourrait par exemple se nommer tout simplement l’enfance »

Il veut que cela soit littéraire, poétique, beau et souvent très visuel. Il souhaite clairement que le lecteur « en ait pour son argent ». Avec de nombreuses comparaisons, références érudites, voyage entre présent et passé (joie de se retrouver à l’époque mythologique), cette histoire familiale est convaincante et très agréable à lire.

« peu importe dans quelle urne repose la vérité, les dieux ont leurs mystères, les hommes ont leurs légendes, ce qui est d’importance est l’étincelle en nous qu’ils ont su allumer, cette parcelle d’irréel à laquelle on a cru ; le reste n’est que poussière qui s’en va vers la mort et que nous balayons d’un revers de la main »

Certes du coup, même si le roman est court, on n’enchaine pas les chapitres à vitesse grand V. Il faut de la concentration et de l’attention. Tant d’érudition peut faire peur au premier abord, surtout que le début peut apparaitre bien décousu mais l’auteur prend garde par petites touches à détendre l’atmosphère, à jouer avec les mots, à garder attentif son hôte. Cela en est devenu limite addictif tant je me suis délecté du style fluide de l’auteur.

 « Alors acier acier assieds-toi petit que je te forge l’âme entre enclume et marteau, que je te forge un arc à hauteur de tes rêves »

Que dire de l’intrigue ? Quelques mots tout de même. Elle n’est pas facile, bien au contraire. Je ne dirai pas qu’elle passe au second rang, au contraire, elle est portée par la prose extraordinaire qui délivre un récit cohérent. L’action se passe au moment des trentes glorieuses. L’amour d’une famille, beaucoup d’amour (celui de la mère, celui du père, celui du métier de forgeron ou de peintre, celui du narrateur, …), la construction d’un enfant dans les épreuves et le deuil, la folie, l’homosexualité abordée de manière si fine et pudique … une vraie et belle réussite ! Je vous laisse découvrir tant il est difficile pour moi de parler du fond sans spoiler ou vous gâcher votre plaisir.

« je sais désormais que toute ma vie durant, toute ma vie de peintre, je ‘ai rien fait d’autre, absolument rien fait d’autre, artistiquement parlant, que de peindre cela : la mort de Norbert, le chagrin de papa, la folie de maman, la forge en feu, les grenouilles mortes, le dépôt, les cheminots, tout ce passé, tous ces dieux fous qui grouillaient et grouillent encore en moi ; et surtout, lumière d’entre les lumières qui dans ces amas d’ombres illumine ou éclabousse chaque toile : l’absence de Norbert ».

Merveilleusement écrit, Fils du feu est un premier roman fort et remarquable. Comme vous l’avez compris, je l’ai beaucoup apprécié et ne peux que vous le conseiller. Je suivrai à l’avenir cet auteur plus que prometteur.

« Ils étaient incultes, c’est-à-dire intelligents mais sans les livres capables de leur nommer, soit cette intelligence, soit cette inculture »

4,5/5

10 Commentaires

  1. Il est vrai que cela peut faire un peu peur, tant de style et d’érudition. Cette rentrée littéraire est vraiment très riche. Le temps va me manquer pour lire tous les bons conseils des blogs.

  2. Je n’avais pas remarqué ce roman avant qu’on ne m’en parle la semaine dernière. Tu enfonces le clou.

  3. Belle chronique, Benoît. Je partage ton avis sur l’écriture et sur le reste aussi. La prouesse vient de ce qu’il a fait d’un bijou de poésie et d’érudition un petit roman très agréable à lire, jamais ennuyeux où l’émotion affleure à chaque ligne.

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