La nuit de feu – Eric-Emmanuel Schmitt

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A l’occasion de la rentrée littéraire, Eric-Emmanuel Schmitt publie un court opus: « La nuit de feu ».

On remarque d’emblée la superbe couverture offerte par les éditions Albin Michel: couleurs sublimes, visuel invitant à l’évasion et au voyage, cela donne vraiment très envie de se jeter dans ce très court récit, certes romancé, autobiographique.

Le véritable voyage consiste toujours en la confrontation d’un imaginaire à une réalité; il se situe entre ces deux mondes.Si le voyageur n’espère rien, il ne verra que ce que voient les yeux; en revanche s’il a déjà modelé les lieux en songe, il verra davantage que ce qui se présente, il percevra même le passé et le futur au-delà de l’instant; éprouverait-il une déception, elle s’avèrerait plus riche, plus fructueuse qu’un simple procès-verbal.

16 chapitres, 1 épilogue pour à peine 183 pages… vous l’aurez compris « La nuit de feu » se lit très vite. D’autant plus vite d’ailleurs que les chapitres sont courts et très intéressants.

A 28 ans, le narrateur, Eric-Emmanuel Schmitt, fait une randonnée dans le désert du grand sud algérien. Il nous narre toute l’épopée de l’arrivée à Tamanrasset jusqu’à ce qu’il se perde dans l’immensité du Hoggar. Au cours de cette nuit glaciale sans eau ni vivres, vêtu très légèrement, il connaitra la révélation. Le lendemain, il retrouvera ses acolytes et son guide touareg Abayghur. Sa vie sera changée à tout jamais.

Éblouissant.Fulgurant. Je sens tout. D’un coup, j’appréhende la totalité. Les termes fuient. Peu importe! Une voix de mon esprit me souffle que je formulerai plus tard. Pour l’heure il faut s’abandonner. Et recevoir… J’embrasse… J’embrase… Flamme. Je suis flamme. Lumière croissante. Insoutenable. De même que je ne pense plus en phrases, je ne perçois plus avec les yeux, les oreilles, la peau. Incendié, je m’approche d’une présence. Plus j’avance, moins je doute. Plus j’avance, moins je questionne. PLus j’avance, plus l’évidence s’impose. « Tout a un sens ». Félicité… Je circule au sein d’un lieu sans pourquoi. La flamme que je suis va rencontrer le brasier… Je risque d’y disparaitre… Serait-ce la dernière étape? Feu! Soleil ardent Je brule, je fusionne, je perds mes limites, j’entre dans le foyer. Feu…

L’écriture de Eric-Emmanuel Schmitt nous envoute et nous transporte. On nage dans un océan de sérénité. On est bien… Avec lui, on s’interroge, on doute, on prend peur et on angoisse, puis on retrouve la joie, la paix, le calme… Ce n’est pas un récit de tout repos pour l’esprit mais on est bien à la lecture de chaque page. Il y a d’ailleurs plusieurs niveaux de lecture. La citation que j’ai isolée en première partie de la chronique à propos du voyage convient parfaitement ici. Vous pouvez rester insensible aux phrases, comme vous pouvez entrer dans le débat philosophique  proposé par Eric-Emmanuel Schmitt.

Un raisonnement explicite chaque question. Pas de jugement, beaucoup de tolérance tout au long du récit. Chaque personnage secondaire est différent mais apporte un plus au message de Eric-Emmanuel Schmitt.

Il y a d’abord Donald, le guide surfeur américain. Le cliché à l’état pur! Le guide improbable, la représentation de notre monde matérialiste et mercantile…
Marc et Martine sont eux très terre à terre. Il ne pense qu’à eux et leur « sauvegarde ». Ils ne profitent pas de la randonnée en tant que telle.
Ségolène, la catho du groupe, parait sûre de sa foi. Elle impose plus ses points de vue qu’autre chose. Elle s’opposera souvent au narrateur et leurs débats seront souvent forts. Il en va de même pour les scientifiques qui eux essayent de tout expliquer par la science.

Ségolène insista: – L’ordre et l’intelligence du cosmos ne fournissent-ils pas un gage de Dieu?
– C’est une démonstration classique en philosophie. Voltaire disait: « L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger ». A l’évidence, si je rencontre une montre sur ce sentier, je m’expliquerai sa réalité par le travail d’un artisan; je ne raconterai pas que le hasard l’a produite. De même, derrière la vie, ses lois, la complexité croissante, j’aurai tendance, par analogie, à supposer un grand artisan à l’œuvre. Et, puisque l’homme s’avère pensant, moral, spirituel, il me semblera cohérent d’imaginer à son origine un Dieu pensant, moral, spirituel, au lieu d’un fracas de molécules ou d’un agrégat aléatoire de cellules.
– Ah tu es d’accord…
– Non pas une seconde! D’abord une analogie ne constitue pas une preuve.Ensuite, il peut y avoir de l’ordre sans intention[…]

Et que dire de Abayghur, le touareg: on ne peut qu’aimer ce personnage et s’y attacher. Il a une vie bien différente de notre vie occidentalisée et contemporaine. C’est assurément une personne à laquelle je ferai confiance les yeux fermés.

Il posa sa main sur mon épaule, me fixa de ses iris clairs et, quoique aujourd’hui je ne puisse déterminer s’il le dit ou si je l’entendis sans qu’il le prononçât, il me donna son ultime conseil de Saharien
– N’oublie pas l’inoubliable.

Quant à Eric-Emmanuel, il passe par tous les états du début de la randonnée, en passant par la nuit d’angoisse jusqu’à la nuit de feu. Il ose même écrire qu’il est né une seconde fois après cela. C’est terriblement fort et évocateur des sentiments qu’il a ressentis. Grâce à son style (soit des phrases longues, riches, très visuelles; soit un mot, bref, augmentant l’effet pesant de la situation) et son écriture très accessible, j’ai également ressenti beaucoup d’émotions au fur et à mesure que j’avançais dans le récit.

En conclusion, vous l’aurez compris, il y a plein de choses à dire sur ce livre en fonction de l’angle sous lequel on l’aborde. J’aurais pu faire un billet sur la partie philosophique… J’ai préféré évoquer le récit et la sérénité, la douceur, la belle poésie de l’écriture narrant ce fascinant voyage d’Eric-Emmanuel Schmitt. Je ne peux omettre de parler de l’épilogue, si belle conclusion à ce beau périple, si bel appel à la tolérance.

Je referme la dernière page paisible et apaisé… Lisez ce petit opus. Je ne peux que vous le conseiller. Je vous offre les dernières lignes:

Une nuit sur terre m’a mis en joie pour l’existence entière.
Une nuit sur terre m’a fait pressentir l’éternité.
Tout commence.

4,5/5

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1 COMMENTAIRE

  1. J’aime bien cette apparence de facilité qui entoure l’écriture de l’auteur et cette façon de montrer l’essentiel de la vie. Je l’ai beaucoup lu, mais un peu moins ces derniers temps.

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