Virginie Martin dont j’avais beaucoup aimé le premier roman Garde-corps, publie en cette rentrée littéraire Le charme discret des séries. Politiste, professeure et chercheuse à la Kedge Business School où elle a créé et dirigé le programme « Soft Power et médias », avant de prendre la responsabilité du « Medialab », elle codirige aujourd’hui le conseil scientifique de la Revue politique et parlementaire et intervient très régulièrement dans les médias.
Nous aurons l’occasion de faire plus ample connaissance avec Virginie Martin dans quelques jours avec une belle interview qu’elle m’a accordée.
Je remercie Virginie Martin ainsi que les éditions Humensciences pour leur confiance et l’envoi du livre en avant-première.
La puissance douce des séries
La série contribue-t-elle à l’évolution des mœurs ? Prépare-t-elle les esprits comme le suggère Virginie Martin dans cet extrait ?
Nous avons tous, un jour ou l’autre, vu une série… ou deux, ou trois… On en est devenu addict tant nous avions envie de connaître la suite… Non ? Cela ne vous est jamais arrivé ? Je ne regarde quasiment plus rien, mais j’ai connu du temps de 24h chrono par exemple.
Et il fallait attendre la semaine suivante, voire 15 jours en période de fêtes.
C’est fini ! Aujourd’hui, avec les DAN (expression choisie par Virginie Martin pour Disney / Amazon Prime Video / Netflix), tout est disponible de suite, tout est à portée de regard. De consommateur glouton, nous sommes devenus des binge watcher.
Pour autant, une série est-elle dénuée de messages ? N’est-elle pas aujourd’hui le meilleur outil politique pour justement faire passer ceux-ci ?
Virginie Martin se penche sur la question et propose un essai très documenté sur la puissance douce des séries. Car oui les DAN – un pendant au fameux GAFA (Google / Amazon / Facebook / Apple) ou BATX (Baidu / Alibaba / Tencent / Xiaomi), sont surpuissants, les DAN connaissent tout de vous et vos habitudes, les DAN savent vous suggérer « la prochaine série à ne rater sous aucun prétexte parce que vous avez aimé Orange Is the New Black ou Lupin« .
Une série n’est clairement pas neutre, c’est un nudge.
Géopolitique, lanceuses d’alerte, ouverture au monde
Une série a-t-elle une influence forte sur le spectateur ? Sommes-nous passifs ou actifs devant nos écrans ?
D’aucuns répondraient que les séries sont uniquement de la fiction et qu’il ne faut par conséquent la considérer qu’ainsi. Pour autant, nous l’avons vu dans le paragraphe précédent et Virginie Martin l’explique dans la citation : leur puissance est énorme. Elles mettent en lumière des minorités ou des communautés (je pense notamment à celle des LGBT), elles disent et propagent des messages, elles jouent de leur pouvoir (l’élection de Donald Trump puis sa défaite est un exemple caractéristique).
Les séries sont universelles et mettent en scène toutes les identités. Elles font de la place aux femmes, aux communautés queers, aux pauvres autant qu’aux riches, aux ruraux et pas qu’aux citadins, aux pays en voie de développement, etc.
Les séries sont des objets puissants. Si on pense inéluctablement aux États-Unis, d’autres pays comme Israël par exemple, sont très actifs. L’efficience de leurs séries ainsi que l’influence de leurs créations sont très fortes. Virginie Martin rappelle par exemple que c’est la série Hatufim qui a donné naissance à Homeland, ou BeTipul qui a inspiré En thérapie en France ou In Treatment aux Etats-Unis.
De même, grâce à la dystopie, les séries jouent le rôle de lanceuses d’alertes, d’éveil des consciences. Virginie Martin cite par exemple la collapsologie, l’arrivée de l’intelligence artificielle et son impact sur le travail, le post-humanisme ou le transhumanisme.
Comme l’écrit Virginie Martin : « Un objet culturel n’est jamais anodin, les récits sériels le confirment. Les séries évoluent dans un monde de pouvoir et d’influence ».
Riche et convaincant
Virginie Martin étudie, analyse en profondeur et lucidité tous ces phénomènes. Son écriture est fluide, agréable à lire et le propos parfaitement compréhensible. Elle éclaire, elle informe de manière pédagogique, elle tente de fournir à son lecteur toutes les clés d’analyse.
Très documenté et riche (la série-graphie en fin d’ouvrage fait 7 pages !!!), vulgarisateur et éclairant sur nos habitudes, Virginie Martin ne cherche pas à imposer son avis, à nous influencer ou nous asséner sa vérité. Elle suscite le questionnement de son lecteur qui ainsi pourra se faire son propre avis s’il le souhaite sur ces questions. Elle ouvre le débat. C’est aussi fin qu’intelligent, un véritable régal qu’on lit d’une traite à l’instar d’une saison complète.
Néanmoins, dès que la politique est abordée, la sociologue et la politiste ne sont jamais loin 😉 Je vous laisse découvrir.
Le récit est découpé en chapitres et sous-chapitres d’une grande clarté. Le charme discret des séries est aussi captivant que passionnant. Réellement addictif ( je l’ai d’ailleurs lu déjà deux fois).
Vous l’avez compris, j’ai énormément pris de plaisir à lire le dernier opus de Virginie Martin. Je ne peux que vous le recommander tant je suis certain qu’il parlera à beaucoup d’entre vous. De même, je ne peux que vous inciter à toujours avoir l’esprit critique sur ce que vous lisez, entendez, regardez. Rien n’est neutre … même si tout en a souvent l’air.
À l’heure des fake news, des suspicions de complotisme et autres théories fumeuses, regardons d’un autre œil les épisodes de nos séries préférés, qu’elles se nomment La Casa de Papel, Le bureau des Légendes, Game of Thrones ou Years and Years.
4,5/5