Mourir au printemps de Ralf Rothmann a été ma dernière lecture de l’année dans le cadre du partenariat avec les Editions Denoël.
Je remercie Chloé et les Editions Denoël pour cet envoi.
« Croyez-moi je sais de quoi je parle. J‘étais presque mort, continua l’officier. Les tirs ennemis nous avaient envoyés valdinguer dans tous les sens comme des feuilles d’automne. J’étais coincé sous un char en flammes avec un éclat dans l’épaule et j’aurais pu être désespéré. Mais je n’avais pas peur. Je savais que je pouvais compter sur la fidélité de mes camarades et qu’ils seraient allés jusqu’en enfer s’il le fallait pour me sauver. Et il en fut ainsi, les gars, et il en sera toujours ainsi : ils m’ont sorti de la. Nous avons pensé aux hordes de barbares, au danger bolchevique et à vos enfants innocents, nous nous sommes secoués pour enlever la boue de nos épaules et nous avons poursuivi l’assaut – et cela jusqu’à la victoire ! »
Allemagne, 1945. Alors que la défaite allemande semble imminente, Walter et Fiete, deux amis de dix-sept ans, se retrouvent enrôlés de force par les SS et envoyés en Hongrie. Le premier est affecté au ravitaillement, mais le second, moins chanceux, est envoyé directement sur le front.
Voila comment la 4ème de couverture présente ce roman. La guerre vue d’un côté inhabituel, puisque vue côté allemand. Et dès ces premières phrases, on se doute que cette lecture ne sera pas de tout repos étant donné l’age des deux jeunes hommes « enrôlés ».
C’est en effet un opus poignant, qui fait souvent froid dans le dos. Certains passages sont particulièrement rudes, comme celui ci-dessous par exemple dans lequel l’homme est assimilé à du matériel « réutilisable »:
« Allons donc ce n’était qu’un éclat d’obus, sous la clavicule. Si la plaie ne s’infecte pas, je serai bientôt réutilisable. Il y a un an ou à peu près, ça aurait été une blessure valant retour au foyer, avec cure et tout le tralala. Mais maintenant… Mec, j’ai vu des tireurs de mitrailleuse à béquilles et des pilotes de char manchots ! »
Ou alors ces pensées du jeune soldat qui banalise la mort et sacralise un bon repas.
« Il pencha la tête, respira le parfum de marjolaine et de laurier, et ses yeux se mouillèrent. Jusque-là, je croyais que le pire, au front, c’était de mourir, dit-il, et il regarda son copain. Mais ce n’est pas vrai, Ata, ce n’est pas vrai du tout. Quand on a de la chance, mourir c’est un claquement de doigts. Mais pouvoir à peine dormir, et ne jamais savoir si le ravitaillement arrivera à passer, c’est bien plus terrible. La pensée d’être massacré le ventre vide est difficile à supporter. On veut s’en mettre encore une fois plein la panse avant de crever pour trois fois rien. »
Dérangeant, perturbant, mais également instructif, cela nous amène à nous interroger: si j’avais été jeune allemand à cette époque, qu’aurais-je fait? Aurais-je essayé de m’enfuir? Aurais-je remis en question les ordres ou les aurais-je appliquer sans un mot? Mon honneur est fidélité…
« Ecoutez-moi bien, Urban ! En dehors du fait que je pourrais vous coffrer pour votre plaidoyer : à la guerre, ce qui importe n’est pas ce que l’on souhaite, ressent ou pense, à la guerre compte seulement la façon dont on agit – c’est tout de même quelque chose que vous aurez appris n’est-ce pas ? Et cet homme, qui comme nous tous porte inscrit sur la boucle de son ceinturon Mon honneur est fidélité, a commis la faute la plus grave qu’un soldat peut commettre : il ne s’est pas montré lâche face à l’ennemi, oh non ! cela serait encore compréhensible dans certaines circonstances. Il s’est montré lâche face à l’ami ! Réfléchissez donc à cela. Quand demain ne balle vous atteindra, ce sera sans doute parce que des gars comme lui, des gars sans scrupule comme lui, ont baissé les bras »
Afin d’apaiser la dureté du combat, l’auteur use et abuse des descriptions. Son style est élégant et imagé. Il réchauffe les scènes et contre-balance l’horreur des événements. On tourne ainsi les pages assez facilement. Toutefois, cela rend la narration un peu terne par moment. Trop de description tue la description… c’est parfois lassant et long, même si je reconnais qu’il y a de très beaux passages.
« Étincelantes, elles tournèrent dans la brise printanière et se cognèrent presque l’une contre l’autre avant d’exploser, une fraction de seconde après que les garçons se furent jetés dans les fossés, de part et d’autre de la route – ce qui leur ôta l’ouïe aussitôt. Walter en tout cas, la joue d’ans l’herbe putride, ne vit que la bouche ouverte de Paul, déformée en un cri, avant que la boue déferle sur son visage, que des bouts de terre jaillissant du champ obscurcissent le ciel et que les tiges de houblon projetées dans l’air grêlent les pavés comme une pluie de javelots, sans un bruit. »
De même, les multiples non-dits (le premier qui me vient à l’esprit est la recherche de son père par Walter, ce dernier ayant probablement fini sa vie dans un camp de concentration…) m’ont laissé un peu perplexes. Beaucoup de sujets sont abordés, nombreux sont effleurés laissant libre cours à l’imagination du lecteur. Un peu dommage car cela génère une ambiance étrange. Il me manque un petit quelque chose…
Même si ce n’est pas un coup de cœur comme expliqué précédemment, j’ai été convaincu par ce roman. Il est aussi intéressant que déstabilisant pour le lecteur. Il saura vous séduire je l’espère. En ce qui me concerne, je ne peux que vous le conseiller pour une vue différente de la seconde guerre mondiale.
«Le silence, le profond mutisme, en particulier quand il concerne les morts, est en définitive un vide que la vie se charge un jour ou l’autre elle-même de remplir de vérité.»
4/5
Mourir au printemps – Ralf ROTHMANN
Traduit de l’allemand par Laurence COURTOIS
240 pages – 04 Novembre 2016 – Editions Denoël
Le titre est très beau. Je suis plongée dans les textes de guerre (pour le boulot) et je note ce titre. Sait-on jamais…
Tu me diras ainsi ce que tu en penses qui sait 😉