Gilles Marchand, auteur bordelais, a coécrit avec Eric Bonnargent Le roman de Bolaño en 2015 et publié Dans l’attente d’une réponse favorable (24 lettres de motivation) en 2011. Une bouche sans personne est son premier roman que j’ai eu l’occasion de découvrir grâce aux 68 premières fois.
Je remercie les éditions Aux Forges du Vulcain ainsi que nos fées Charlotte, Eglantine, Nicole et Sabine pour ce petit bijou.
« J’ai un poème et une cicatrice, voilà pour mon armoire à souvenirs. J’ai pris soin de la cadenasser solidement afin de n’en rien laisser échapper. Mais les cadenas sont fragiles et il est impossible d’oublier une cicatrice lorsque celle-ci fait office de masque que l’on ne peut retirer. De ma lèvre inférieure jusqu’au tréfonds de ma chemise, il y a cette empreinte de l’histoire, cette marque indélébile que je peine à recouvrir de mon écharpe afin d’en épargner la vue à ceux qui croisent ma route. »
Oui un petit bijou, une pépite, un incroyable récit dans lequel Gilles Marchand mêle avec talent et brio les émotions. Je suis resté sans voix en tournant la dernière page, et ai même relu les 50 dernières tant elles sont fortes. Quel oeuvre! Quel talent! Chapeau bas et immense respect.
« La vie est trop courte pour s’accommoder de tout ce qui va de travers. Il ne faut pas hésiter à rêver, les rêves c’est pas fait pour les chiens. Et c’est gratuit. »
Qu’est ce qui me fait m’enthousiasmer à ce point? Beaucoup de choses…
D’abord l’atmosphère qui se dégage de ce livre. On est si bien, on se croirait dans un film de Jean-Pierre Jeunet avec ses acteurs fétiches Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. On oublie son quotidien, ses soucis et ses repères. On suit les aventures, la vie routinière et bien établie d’un comptable. Banal me direz vous… Tous les jours, il rend visite à sa boulangère, retrouve ses amis Lisa, Sam et Thomas au bar du coin, rencontre la petite mamie avec son chien dès la nuit tombée… Il porte toujours une écharpe autour du cou quelle que soit la période. Pourquoi? Que cache-t-il de si mystérieux? Petit à petit, il ose parler. Il se confie et raconte dans le bar devant une audience de plus en plus importante (on vient même de loin pour l’écouter) l’histoire de son grand-père. Captivant.
C’est souvent drôle, loufoque ou rocambolesque et surtout superbement narré. Les lettres des « parents » de Sam, les secrets du narrateur, l’histoire de son grand père Pierre-Jean, la montagne d’ordure dans son immeuble… on aime retrouver page après page chaque acteur tant ils sont attachants (et rendus tels par le style de l’auteur). On tourne celles-ci avec avidité et on a du mal à lâcher le roman. Prenant.
« La poubelle n’a pas été sortie. La concierge est morte il y a deux jours et personne n’ose la toucher. La poubelle, pas la concierge. »
Toute proportion gardée, cette dernière lecture de l’année me rappelle une des premières. Il y a en effet quelques similitudes avec En attendant Bojangles de Olivier Bourdeaut: adopter un regard original, une apparente légèreté pour parler d’un sujet sérieux et très dur, pour masquer les blessures les plus profondes, en l’occurrence cette fameuse cicatrice que la narrateur cache coûte que coûte… Perturbant.
« J’ai pris mon courage à deux mains et lui ai demandé s’il pleurait. Il a eu l’air étonné avant de m’expliquer que non, d’ailleurs il n’avait aucune raison de pleurer. C’était juste que son visage n’était pas étanche. Il n’y pouvait rien et ça n’était pas bien grave. C’est le genre de choses qui arrive de temps en temps, avec toute cette eau qu’on a dans le corps. »
Il y a ensuite l’écriture. C’est très bien écrit! La plume de l’auteur est subtile, belle, poétique, intelligente. Elle s’adapte parfaitement aux différentes ambiances. Elle sait être chaleureuse ou ciselée, tendre, métaphorique, profonde… On a l’impression que l’auteur joue avec nous dans la construction de ses phrases tant il prend plaisir à les modeler. C’est une très belle réussite littéraire. Envoûtant.
« À travers eux, mon histoire devient une histoire. C’est peut-être ce dont j’avais besoin pour avancer. Je ne suis plus qu’une bouche, une espèce de lien avec un autre temps qui se dépossède de ce qu’il a sur le cœur. Mon histoire leur appartient et se mêle à leurs propres souvenirs. »
On aime également retrouver les Beatles, Romain Gary et Boris Vian, des références très présentes dans cette oeuvre. Cela donne envie de re-parcourir certains de leurs opus ou écouter des tubes célèbres… Mais aussi de lire La conscience de Zeno de Italo Svevo tant la voix de Zeno semble hanter le narrateur (Gilles, tu as su piquer ma curiosité je vais craquer je pense!). Enrichissant.
« Les choses que tout le monde ignore et qui ne laissent pas de traces n’existent pas »
La conscience de Zeno Italo Svevo.
Il y a enfin la construction du récit, une merveille… La révélation du secret, comment tout cela est si bien amené, l’évocation de l’Histoire, celle avec un H, si dérangeante, si émouvante qui nous bouleverse et nous fait couler des larmes sans qu’on s’en aperçoive… Même si je me doutais de la gravité, je n’ai rien vu venir. Je me suis laissé embarquer comme de nombreux lecteurs je pense dans la narration. Ce dénouement, ce retournement de situation, cette explication du titre mystérieux… on en a la gorge nouée, limite des tremblements. Quelle claque! Aussi magistral que dérangeant.
« Je reste comme un musicien sur la scène à la fin d’une représentation, incapable de savoir si ma voix a tremblé , si des larmes ont coulé le long de mon visage. J’ai interprété une chanson que je n’ai pas écrite dans un costume trop grand pour moi. Je ne sais combien de temps j’ai parlé et constate que mon verre est vide sans que je me souvienne l’avoir porté à mes lèvres. Mes jambes tremblent. Mes amis restent silencieux. Leurs regards ne me quittent pas. «
Original, drôle, tendre, sensible, pudique, humain et si douloureux… Un savant mélange entre fantaisie et sérieux, entre sourires et larmes, ce fut une magnifique découverte. Il y a tout ce que j’apprécie: une atmosphère, un coté dramatique allant crescendo… et une fin perturbante, dérangeante et qui fait sacrément réfléchir! Une lecture assurément marquante.
Je ne peux que vous encourager à lire Une bouche sans personne. Dernier énorme coup de cœur 2016 en ce qui me concerne, il résonnera encore longtemps en moi. Merci Gilles quel coup de maître!
5/5 COUP DE COEUR! PEPITE A DECOUVRIR ABSOLUMENT
Et pour rappel, je vous fais gagner un exemplaire dédicacé ici. Il serait dommage de passer à côté 😉
[…] Il s’agit du livre de Gilles Marchand, mon dernier gros coup de cœur de l’année, Une bouche sans personne aux Editions Aux forges de vulcain. Cerise sur le gâteau, l’exemplaire est […]
[…] Une bouche sans personne, le premier roman de l’auteur, est mon dernier coup de coeur de l’année. Pour rappel, toujours grâce à la maison de la presse de Mérignac Mondésir, je vous le fait gagner ici. […]