Un printemps 76 est le deuxième roman du journaliste Vincent Duluc après Georges Best, le cinquième Beatles paru également aux Editions Stock en 2014. C’est une très belle surprise de cette rentrée de janvier 2016.
Je remercie les Editions Stock et la FNAC pour cette lecture en avant-première.
Grandir dans ma province avec Saint-Etienne juste à côté, en 1976, c’était habiter Naples au pied du Vésuve, c’était savoir que le cœur de l’univers avait soudain été déplacé, qu’il se rapprochait de nous mais sans nous inclure, et c’est pour cela qu’on se levait, pour voyager, franchir la frontière et ressentir l’appartenance au monde. Là-bas, juste à côté, Saint-Étienne avait les Verts, la ville avait cette fièvre, un pays venu prendre son pouls, et sous ses yeux la classe ouvrière mourait en chantant “Qui c’est les plus forts ?”.
D’emblée, les choses semblent claires. Le métier de l’auteur (journaliste sportif émérite au journal l’Equipe), le titre de l’ouvrage ainsi que la photo, les premières pages, tout converge vers le football en général et la grande équipe de Saint-Etienne en particulier. C’est déjà une excellente raison de se pencher sur cet opus, que vous soyez supporters, spectateurs ou allergiques à tout cela. Les Verts de 1976 sont mythiques et resteront à tout jamais dans les mémoires des Français. Beaucoup de jeunes à l’époque, Vincent Duluc en tête, s’identifiait à l’Ange Vert, Dominique Rocheteau, l’idole.
Mes cheveux poussaient aussi mais ils étaient raides, blondissaient avec l’été et je ressemblais à un joueur tchécoslovaque dégingandé quand j’aurais voulu être un ange vert aux boucles brunes cascadant au ras de mes épaules.
Et effectivement, tout au long des 212 pages, l’auteur nous amène dans un périple émouvant et nostalgique au sein de ses Verts avec qui il a traversé son adolescence ennuyeuse. Tout démarre avec ses souvenirs au stade: Ah Geoffroy-Guichard, ce stade légendaire…
Nous étions quarante mille dans la nuit vulcanienne et j’étais seul. Je suis sûr de n’avoir parlé à personne. Je n’avais pas envie, sans doute, d’être arraché à mes pensées tandis que je m’apprêtais à me recueillir. Je voulais m’abandonner sans frein ni témoin à ma fascination pour ce décor, les projecteurs dans la nuit de mars, le bloc rond lumineux tournant pour Manufrance, les hautes cheminées par-dessus les toits, les filets du but, les mouvements dans les tribunes.
On y trouve aussi des portraits sans concession des « stars de l’époque »: l’Ange Vert bien entendu, mais également l’énervant et colérique Jean Michel Larqué et le leader, gardien yougoslave, Ivan Curkovic. Déjà les histoires de transfert polluaient l’ambiance… et lire comment se dérouler ces mutations à l’époque laisse rêveur.
Jusque-là, les joueurs professionnels qui voulaient changer de club sans l’accord de leur président s’inscrivaient sur une liste de « réfractaires », c’était l’appellation officielle, et les négociations dans lesquelles ils n’avaient nul levier les écartaient des terrains pendant trois mois, et si aucun club ne s’était mis d’accord avec le président drapé dans son droit de maintenir un lien unilatéral, le joueur revenait à l’entrainement avec les autres, il avait perdu trois mois de salaire et son combat, et il fallait qu’il soit bon, en plus, pour qu’on lui pardonne. C’était chouette, quand même, le paternalisme.
Les dirigeants ne sont pas oubliés pour autant. Mention spéciale au mégalo président Rocher:
Il reste soupçonnable d’avoir creusé le sous-sol stéphanois de ses mains et de n’avoir plus les pieds qui touchent la terre. En 1974, il a appelé Valéry Giscard d’Estaing, pour lui présenter les félicitations de l’AS Saint-Etienne. Il enverrait bientôt un télégramme de condoléances à la veuve de Mao.
Et l’entraineur Robert Herbin, le grand Sphinx:
S’il avait été brun, gros, chauve et bavard, Robert Herbin, ci-devant l’entraineur, n’aurait pas fait la même impression. Rouquin, sec comme un pied de vigne, une tignasse longue, bouclée et indomestiquée, silencieux et distant, il compose un Sphinx selon l’invitation donnée par son surnom. Ila trente-sept ans, un corps d’ascète et de rousseurs qui aime le soleil, le monde est mal fait. Il lui arrive les jours d’été de changer de côté au milieu de la séance d’entrainement pour bronzer de face comme de dos ; ils ont tous raison, le sport de haut niveau se joue sur des détails.
Toutefois, il serait malhonnête de ne parler que de « ses années vertes » et de réduire ce livre aux souvenirs footballistiques. Vincent Duluc nous narre également superbement les souffrances de l’époque; les siennes d’adolescent à la première personne du singulier (son nez acnéique, ses cheveux raides et blonds, ses difficultés avec les filles par exemple), mais également celles des Stéphanois avec la fin de la mine, les difficiles retransmissions TV, … Conditions sociales et football étaient intimement liées. C’était le ballon d’oxygène de l’époque pour les ouvriers, la sortie incontournable.
Au stade, ils se retrouvaient, les ouvriers et les mineurs dans les populaires, les cadres dans les tribunes latérales, la géographie de Geoffroy Guichard maintenait les frontières entre les territoires. « Tribune populaire », c’était marqué sur la contremarque, c’était le nom officiel; on n’oserait plus stigmatiser une classe ou officialiser l’idée de réunir le prolétariat au même endroit, mais on osait alors, peut être en prétendant que ce qui était populaire était aimé, et puis c’était de la que partait la chaleur, c’était la flamme qui entretenait le mythe du chaudron, cette carte postale d’un lieu ou passe le souffle d’une ville de charbon et d’acier.
L’écriture de Vincent Duluc est remarquable. Parfois acerbe, parfois humoristique, la plume du romancier nous permet de parfaitement ressentir la souffrance de la population, comme la passion quand les Verts jouent ou encore la tendresse, l’immense respect, la fascination pour certains joueurs et à l’inverse la moquerie, voire l’ironie à propos d’autres.
Mon unique regret reste ses phrases souvent trop longues qui diminuent la fluidité du texte. A force d’empiler les détails en accumulant les propositions indépendantes, il finit par nous lasser et nous perdre. Ce style très riche m’a obligé à relire certaines phrases plusieurs fois au départ et faire quelques sauts de paragraphes ensuite.
Un printemps 76 est un récit très intéressant et surtout abouti. Vincent Duluc est un auteur de talent! Pensant à un livre souvenir, je ne m’attendais pas à cette belle surprise. Je vous le recommande. Comme moi, je pense que vous aimerez ce nostalgique voyage dans une ville où l’auteur a vaincu l’ennui de son adolescence.
Je n’ai pas entretenu mes racines stéphanoises au fil du temps, je ne les ai pas arrachées non plus, je les ai laissées libres de pousser ou de disparaitre. Saint Etienne restera la ville du passage, l’endroit où j’ai eu pour la premier fois l’impression d’entrer à la fois dans la télé et la vraie vie, de l’autre côté de l’ennui. J’aurai du, sans doute, être plus reconnaissant à Sainté de m’avoir aidé à m’échapper. La vérité est que je m’en suis détaché quand le temps de l’évasion est venu.
4/5
Pas très tentée par cet univers.
Je peux comprendre 😉
Moi non plus … même si tu en parles bien.
Merci Laure
Je viens de le finir !
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