Ah! ca ira… – Denis Lachaud

0

Ah!caira

Dans le cadre des coups de cœur de la rentrée littéraire 2015, j’ai eu la chance de lire en version électronique « Ah ! ca ira… » de Denis Lachaud. Je remercie infiniment les librairies Decitre ainsi que Actes Sud pour cette avant-première

Voilà un roman qui ne laissera pas le lecteur indifférent et qui le poussera à la réflexion. Il est assez difficile d’ailleurs de le classer dans une catégorie (Anticipation ou Fiction ?) ! Faire cohabiter Saint-Just, Robespierre, Marat avec une avenue Nicolas Sarkozy, des drones ou bien des zones de conduite guidées sur autoroute, est pour le moins peu banal. Faire souffler l’esprit révolutionnaire au milieu du XXIème siècle ultra- technologique, c’est l’exploit réalisé par Denis Lachaud dans ce roman engagé, moderne et humaniste.

Cela démarre à cent à l’heure comme un thriller. On ne voit pas passer le premier tiers du livre tant on est absorbé par l’intrigue (de l’enlèvement et le meurtre du président de la République Française jusqu’à l’arrestation et le procès de Saint Just). C’est très entrainant et très dynamique tel un page-turner.

Puis vient le temps plus calme de l’emprisonnement d’Antoine, alias Saint Just, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. L’isolement, la vie dans un espace minimaliste, comment faire pour ne pas devenir fou et vivre ? Survivre, aller de l’avant ?

C’est le temps de la réflexion.

Il n’y a pas de Saint-Just croupissant lamentablement au cachot ; Saint-Just s’est battu jusqu’à la tête qui tombe dans le panier. Ici, il y a rien. Cesse de te leurrer. Cesse de parader, même si aucun miroir ne te permet de vérifier que ton masque est tombé. Tu t’appelles Antoine et ta vie est rien.

Il n’en reste rien, Rufus. J’ai échoué. Ce que j’ai fait revient à prendre le volant d’une voiture de course, entrer sur une autoroute, appuyer sur l’accélérateur jusqu’à bloquer le compteur et une fois que le paysage défile à trois cents à l’heure, foncer sur le pilier d’un pont

Quand vient la libération, 21 ans après, il est temps pour Antoine de réapprendre à vivre. Grâce au soutien inconditionnel de sa fille, sa grande fierté, celle qui tient de lui niveau « combat et revendication » (Chassez le naturel…), il va connaitre une deuxième vie. C’est le temps de l’action. Je vous laisse découvrir l’intrigue très bien ficelée et côtoyer Rosa, Rufus, Ahmed, Chloé…

Denis Lachaud écrit un roman dans l’air du temps (afflux de migrants, crises économiques, abandon des banlieues, …). Il aborde plein de thèmes, transmet une foultitude d’idées sans pour autant les asséner. Il contrebalance parfaitement le côté négatif et anxiogène de sa vision de la France des années 2030 avec des idées pleines d’optimisme, de solidarité et donc d’espoir. Il surfe sur les mouvements citoyens actuels comme les indignés en Espagne ou en Grèce pour proposer une nouvelle démocratie, une société nouvelle plus citoyenne et humaine.

Le mot égalité est un mot qui résonne en nous. Mais quelle est cette égalité que claironne la devise de notre pays ? Quel est le sens du mot égalité dont nos dirigeants nous abreuvent tout au long de leur discours ? De quelle façon, dans les faits, se traduit cette égalité ? Pouvez-vous vous sentir intégré à une société égalitaire quand un car de police garé à deux pas de chez vous attend la moindre incartade pour vous asphyxier de gaz lacrymogènes, vous tirer dessus avec des flash-balls e autres arsenaux dits défensifs mis à la disposition des forces de l’ordre pour réprimer une colère pourtant si légitime ?

Je ne crois pas que puisse naitre quoi que ce soit de bon d’un langage qui refuse. Seule une pensée positive exprimée dans un langage positif est à même de faire émerger un modèle politique nouveau. Je ne crois pas qu’il soit fécond de s’opposer frontalement à ce système rodé. Quand deux corps se heurtent, l’énergie cinétique accumulée par chacun endommage les deux, voire les détruit. Je ne peux raisonnablement pas me lancer dans une action politique en sachant qu’elle implique un déchaînement inévitable de violence et de cruauté. Le monde avance selon le mouvement qui l’anime et ce mouvement, on doit pouvoir l’infléchir en luttant à l’intérieur des institutions.

Les personnages sont très attachants, ce qui aide à adhérer aux thèses développées et rend la lecture très agréable.

L’écriture est fluide, parfois ironique et acerbe, parfois envoutante, parfois émouvante et souvent très entrainante. L’auteur frappe fort et juste. Il nous donne une belle leçon de politique et n’oublie pas l’amour omniprésent dans la relation père/fille.

Non ce n’est pas une simple critique de la politique menée par nos élites, ni de la société française, mais Ah ! ça ira… est un roman très intéressant, prenant, lucide et réaliste servi par une intrigue rondement menée. Le lecteur ne coupera pas aux tiraillements de multiples questions en refermant la dernière page.

Je ne pouvais qu’aimer et je le conseille sans hésitation.

4/5

Citations :

  • Rendez-moi au moins mes sous-vêtements… – Nous nous sommes débarrassés de tout en même temps, vous le savez. Nous n’avons rien gardé, vos habits étaient piégés. – Pas mon slip. Il n’y a rien dans mon slip. Marat réprime un sourire. – Nous l’ignorions
  • Arrête de te poser ce genre de questions. Suis la route que tu as choisie, avance pas à pas, comme nous tous, concentre-toi sur les obstacles à éviter.
  • Chloé sait. Tout vaut mieux que l’ignorance.
  • Nous naissons, nous grandissons, nous apprenons, nous travaillons, nous aimons, nous perdons, nous souffrons, nous comprenons, nous construisons, nous nous ennuyons, nous apprenons, nous aimons, nous murissons, nous perdons, nous nous souvenons, nous oublions, nous ignorons, nous apercevons la fin, l’idée de cette fin qui pourrait approcher, alors nous freinons, nous nous leurrons, nous résistons, nous poussons ce que nous sommes en position de pousser.
  • Tu as tort de dire qu’elle n’a rien construit. Tout effort, toute tentative de résistance construisent quelque chose.
  • Nous avons commis une erreur grossière Rufus. Nous nous sommes attaqués aux dominants. Or ce sont les dominés qui perpétuent le système. – Ben Voyons – ils entérinent le mode de domination en l’acceptant. Rien ne sert d’assassiner un président. – il est victime du système, lui aussi ? – Exactement. Nous devons le libérer de la domination autant que nous devons nous en libérer.
  • C’est dans l’utopie que germe l’action, lui a-t-il mystérieusement affirmé le soir ou il lui a demandé son aide à la vente de fruits et légumes. Elle n’a posé aucune question, bien que l’utopie ne lui soit pas un concept familier. Elle a juste demandé à son fils de faire attention

Challenge1%rentree

1 COMMENTAIRE

    • il m’avait tapé dans l’oeil suite à vos belles chroniques sur lecteurs. Je l’avais en stock, j’en ai profité! Et je ne le regrette absolument pas. Merci!

  1. j’avais lu « J’apprends l’hébreu » du même auteur, auquel je n’avais pas du tout accroché… je tenterai à nouveau l’expérience avec celui-ci

  2. Alors moi, je ne lis plus tes chroniques ! Je note les titres. Je lirai ta chronique après avoir rédigé la mienne…si je trouve le temps…en ce moment, je rame…;-) !

  3. Oui, bien sûr, mais si j’ai le même « ressenti », j’ai l’impression de plagier…oui, je sais, je suis un peu compliquée 😉

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici