Bâtisseurs de l’oubli – Nathalie Démoulin

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BatisseurDeLOubli

Dans le cadre des coups de cœur de la rentrée littéraire 2015, j’ai eu la chance de lire en version électronique « Bâtisseurs de l’oubli» de Nathalie Démoulin. Je remercie infiniment les librairies Decitre ainsi que Actes Sud pour cette avant-première.

Roman choral, Bâtisseurs de l’oubli démarre lors du réveillon de la Saint Sylvestre 2012 et se termine le premier jour de l’année. C’est une belle fresque familiale nous contant l’épopée du Mama, Marc Barca, à travers sa voix, celle de sa fille ou d’autres membres de sa famille.

Algérois de naissance, contraint d’émigrer en France dans sa jeunesse, le Mama a pris sa revanche sur la vie en construisant des forteresses sur la côté méditerranéenne, de Sète à la Grande Motte. Il laisse ainsi sa trace sur Terre.

Comme eux, j’ai eu faim en arrivant d’Algérie. Faim d’un avenir impossible.

Orgueil, travail, argent, corruption… les portraits sont sans concession. Tout est abordé sans détour.

Oui l’argent était le lit des matières dont je me nourrissais, qui très tôt ont déformé le jeune homme que je fus, courant encore certains dimanches après le ballon mais s’arrondissant, nunc est tempus edendi, le temps était venu de manger, de remplir, de dilater, une mue continue de vêtements trop justes, et ma vie aussi débordait les limites anciennes, accordée à des objectifs aussitôt dépassées…

Poétique, mélancolique, directe, dense, l’écriture de Nathalie Démoulin est des plus agréables. Les phrases sont souvent très descriptives et invitent le lecteur au voyage ou à la découverte de l’Histoire (l’auteur est parfaitement documentée sur le passé de la côte méditerranéenne ainsi que sur les découvertes archéologiques récentes qui ont permis d’exhumer une cité étrusque).

Sa plume est également exigeante et acerbe lorsque l’auteur évoque les lubies des constructeurs de l’époque…

Et c’est peut être ça la Grande Motte, une ville de marchands de sable, faite pour nous endormir.

L’Espagne a fait construire des aéroports où ne se pose aucun avion, des autoroutes payantes dont les péages sont déserts, des chemins de fer où les trains roulent à vide. Et maintenant ils cherchent à brader tout ça et ils n’en tireront même pas le prix du béton. C’est comme ça qu’on repart à poil avec le FMI au cul et des banquiers gorgés de thune s’organisant des teufs dans vos vieux palais.

Malgré quelques digressions et longueurs, la lecture reste fluide, les pages s’enchainent sans difficulté. Il faut néanmoins rester concentré pour ne pas perdre le fil car le changement de narrateur d’un chapitre à l’autre est déconcertant.

Roman contemporain, j’ai passé un agréable moment de lecture avec Bâtisseurs de l’oubli.

3,5/5

Citations :

  • Le Mama prétend que l’eau de mer répare, les peaux qui suppurent, les os qui se craquellent, les corps brisés comme le mien s’est brisé, cette mémoire est devenue une peu, de casser à nouveau, comme du verre, comme une très vieille femme, comme si j’avais mille ans, comme si je n’avais fait qu’hériter de ce corps comme une maison qu’il faut réparer, il y a des gens qui passent leurs vies à ça, réparer des maisons, relever des murs, rendre de la dignité, c’est une folie qui est en train de m’attraper, moi qui ne suis pas près de quitter cet appartement que mon beau père a acheté pour moi, voici sept ans de cela.
  • Et c’est peut être ça la Grande Motte, une ville de marchands de sable, faite pour nous endormir.
  • La première, fille intempérante et amoureuse, j’ai largué la combe, je l’ai laissée basculer dans le ralentissement des forges, comme un cœur qui cessait lentement de battre.
  • Et maintenant que a monnaie est devenue l’objet même de la guerre, objet de déraison agité par des féticheurs résolus à nous acculer à la ruine, la Grèce vend ses compagnies des eaux, ses portes, ses chemins de fer, ses réseaux électriques, ses aéroports, ses hôtels, ses plages encore épargnées par le béton, […] Il u aura un Mama, un type n’ayant rien à perdre, pour marchander le sable et acheter des dérogations, pour réclamer que tout se change en or, l’eau, le pain, l’avenir, et tant pis s’il faut en mourir.
  • L’Espagne a fait construire des aéroports où ne se pose aucun avion, des autoroutes payantes dont les péages sont déserts, des chemins de fer où les trains roulent à vide. Et maintenant ils cherchent à brader tout ça et ils n’en tireront même pas le prix du béton. C’est comme ça qu’on repart à poil avec le FMI au cul et des banquiers gorgés de thune s’organisant des teufs dans vos vieux palais.
  • Comme eux, j’ai eu faim en arrivant d’Algérie. Faim d’un avenir impossible.
  • Et voilà que ça n’empêchait rien, depuis longtemps je n’étais plus entier, des morceaux de moi étaient restés en Afrique, divisé, fragmenté, voilà ce que j’étais voilà ce que je suis.
  • Oui l’argent était le lit des matières dont je me nourrissais, qui très tôt ont déformé le jeune homme que je fus, courant encore certains dimanches après le ballon mais s’arrondissant, nunc est tempus edendi, le temps était venu de manger, de remplir, de dilater, une mue continue de vêtements trop justes, et ma vie aussi débordait les limites anciennes, accordée à des objectifs aussitôt dépassées…

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1 COMMENTAIRE

  1. J’ai juste lu ta chronique entre les lignes…mais les mots Sète et La Grande Motte me disent que je vais acheter ce roman. Merci 😉

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