Crash-test – Claro

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CrashTest

Dans le cadre des coups de cœur de la rentrée littéraire 2015, j’ai eu la chance de lire en version électronique « Crash-test » de Claro. Je remercie infiniment les librairies Decitre ainsi que Actes Sud pour cette avant-première.

On parle souvent de l’angoisse de la feuille blanche pour l’écrivain… sans comparaison aucune et toutes proportions gardées, ce souci guette aussi le modeste blogueur que je suis. Pas que je n’ai pas aimé ce livre, pas que je l’ai adoré… mais je dois reconnaitre que Crash-Test est un sacré livre. Ici point d’intrigue suivie, point de suspense ou de lecture fluide, mais place à une écriture littéraire, très littéraire, riche à très riche, aux tournures de phrases travaillées, aux mots subtilement choisis.. Bref c’est un roman qui demande concentration et attention, un roman qui bouscule le lecteur…un roman dont on ne peut pas sortir indemne !

Il est pourtant court : 230 pages. Mais tout est atypique et non conventionnel : la structuration, la mise en page, la présentation (plus que singulière), Claro ne fait rien comme les autres ! A auteur original, projet original ! Je m’explique.

D’abord il y a la forme, déroutante ! Tout est fait pour hacher la lecture, la déstructurer et donc à l’arrivée maintenir le lecteur dans les cordes. Comment Claro arrive-t-il à ses fins? Par le type, le style mais aussi la taille des polices qui varient souvent ; par des ponctuations anormales, absentes ou carrément « loufoques » ; par un mélange d’italiques, de gras, d’exposants, des retours à la ligne ou des sauts de lignes auxquels on ne s’attend pas, d’alignement à gauche, à droite… cette présentation oblige sans cesse le lecteur à s’adapter.

Et puis les phrases… de très courtes, elles deviennent souvent interminables, limite incompréhensibles tellement elles sont travaillées. Un exemple ? Regardez comment commence le livre (ceux sont les deux premières phrases du roman):

Au commencement était l’accident. Il le sait, l’a toujours su, et ce depuis sa naissance dans les entrailles d’une clinique d’abattage où à toute heure du jour et de la nuit, sous des trainées de néons, les ventres béaient et se contractaient au rythme du sang pulsé, les matrices saturant l’air d’ondes et de cris qu’aussitôt recrachés les avortons aspiraient goulument, leurs yeux d’agoutis brulés par l’incandescence des lampes, avant d’être secoués, rincés, palpés, intubés pour certains, cajolés pour d’autres, carambolés de salle en salle dans l’urgence de leur salvation ou bien chrysalidés dans du linge empestant le dakin, la scène se répétant inexorablement tandis qu’au dehors, là ou vivre était devenu coutume et châtiment, hurlaient les sirènes, celles des ambulances piaffant au seuil des urgences, et celles de la ville célébrant une fois par mois la possibilité du chaos.

Les chapitres suivent le même jeu : de quelques mots  à quelques phrases, ils peuvent également être longs, vulgaires ou poétiques. Oui Claro fait de la poésie, souvent, ce qui enchante le lecteur et le fait s’évader très agréablement. Mais Claro agresse aussi celui-ci en utilisant des mots crus, en fusillant celui-ci de questions (le rôle de l’homme vis-à-vis de la femme, la pornographie, …), d’introspection ou de reproches selon le sujet abordé.

Ses yeux sont écarquillées telles des lèvres d’actrices de bordel et absorbent fiévreusement les scènes d’orgie dont il répète et varie les motifs jusqu’à ce que la satiété se révèle un mythe dans la course à la jouissance. La jouissance ? Laquelle ? il n’en connait qu’une, pour l’instant : celle qui nait sous la guerre des draps, dans sa chambre, quand les filles de papier des bandes dessinées pour adultes au cours d’aventures lucifératomiques !!! féérotiques !!! sextraordinaires !!! se liguent pour faire de son corps de treize ans et demi une fontaine à foutre […]

A l’arrivée, on navigue dans un « bordel » organisé qui agace, intrigue, attire, ravit. Le lecteur passe par toutes les émotions tellement ce bouquin est bizarre! Ai-je tout compris ? Ai-je bien lu ? Je ne le saurais pas dans l’immédiat.

Elle ne sait pas encore ce qu’il veut, d’elle, de lui, du temps qui passe et les rapproche à la façon d’un aimant qui sait quel métal a le droit de s’apparier à quel autre métal, et surtout quelles faces iront ensemble, car les parties qui relèvent de la même obédience magnétique se repoussent plus surement que deux versions d’une même histoire, et il faut faire attention aux détails, dont les charges sont tantôt positives, tantôt négatives.

Disons deux mots du fond enfin. On alterne entre le récit d’un employé chargé de récupérer des cadavres pour procéder à des crash-test (très intéressants la plupart du temps), la vie d’une strip-teaseuse (je n’ai pas accroché) et un adolescent découvrant sa libido (du bon et du moins bon). A priori, 3 thèmes indépendants et pourtant… pas tant que cela ! Les points communs sont nombreux finalement.

Rythmique et intense, inventif et pugnace, obéissant à une partition implacable, Crash-test donne voix et vertige aux chairs contrariées et à leur nécessaire insurrection – et tout le reste est poésie nous dit la 4ème de couverture. Voilà un excellent résumé finalement. Au commencement était l’accident ? Ce livre est tout sauf un accident, c’est un texte audacieux, très (trop) trash et finalement réussi.

Si vous voulez un « vrai livre littéraire », ne passez pas à côté de ce roman.
Si vous cherchez plutôt une lecture fluide, tranquille et « sans prise de tête », passez votre chemin.

En ce qui me concerne, je suis content de l’avoir lu. Étonnamment je n’ai jamais eu envie de l’abandonner, mais je ne lirai pas tous les jours de tels romans !

Un sacré OVNI, un exploit littéraire, à ne pas mettre entre toutes les mains !

3/5 (4 pour la forme, 2 pour le fond pour lequel je n’ai pas suffisamment accroché)

Laissons le dernier mot à Claro :

Lire c’est tomber. Et si la page est puits, alors s’y aventurer c’est percer l’eau des choses, pénétrer le secret de la vase, vivre dans les orbes crées par soi-même, gouter la lie.

Citations :

  • Lui qui rêvait de descendre du mandrill au cul arc en ciel, on le tannait pour qu’il prenne modèle sur ces incarnations frelatées. Mais il refusait d’adhérer à cette théorie de l’évolution inversée, qui voulait que de la régalienne momie cintrée de tulle noire suite un jour l’immaculé ouistiti sans foi ni loi.
  • Parfois, la faveur d’une courbe s’étirant à l’horizon, pour peu qu’il soit installé à contremarche et reçoive dans les yeux la canonnade du soleil, il suivait la fuite des rails livrés aux jeux d’optique qui s’en allaient convulser, se perdant dans la carnation des champs pour mieux percer la croute d’un coteau.
  • Ici, tout est stratégie, et sa conception du désir est une ruse censée vous paralyser à l’heure de vos abois. La curée a commencé. La voilà sans prévenir torsadée, et dans la salle tous retiennent un souffle ayant valeur de recul. Elle les tient, non par les couilles, qu’ils ont soigneusement remisées dans le boudoir de leur slip, mais par les illusions, qu’ils ont lâchées sur scène tels des papillons de stupre, sots et ronds ,comme ces confettis tricolores que l’éclairagiste laisse sautiller avec un temps de retard sur le furieux léopard de sa gloire carnée.
  • Pour eux, toutes les filles sont de papier et eux seuls ont le droit de les tourner et retourner, comme autant de pages qu’il ne sert à rien de lire jusqu’au bout. Eux seuls les tournent, et ce depuis l’adolescence, prisonniers d’une peur porno dont ils ne savent que faire, éberlués par ce que leur murmurent les filles de papier dont ils peuplent leur verte puberté.

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1 COMMENTAIRE

  1. Je crois bien que tous ses livres sont comme ça ! J’avais lu Tous les diamants du ciel et j’avais eu la même impression de livre exigeant, décousu mais qu’on n’abandonne pourtant pas, sans identifier vraiment pourquoi. Je lirai celui-ci, c’est sûr !

    • J’irai le rencontrer au Lire en poche de Gradignan début Octobre et en profiterai pour acheter Tous les diamants du ciel (et me le faire dédicacer). Mais dans l’immédiat, je laisse passer un peu de temps avant de me replonger dans sa plume très exigeante!

  2. J’avais eu beaucoup de mal avec CosmoZ, parce que je ne connaissais pas suffisamment Le magicien d’Oz. Par contre, Tous les diamants du ciel, même si il est aussi un peu psychédélique m’avait davantage plu. Celui-ci le paraît bien destructuré. Je ne suis pas certaine de m’y plonger si le fond ne parvient pas à supporter la forme.

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