Il est toujours conseillé de fuir la routine… mais un rituel peut-il pour autant être assimilé à de la routine? Depuis quelques années, routine ou pas, je ne peux me passer de lire le millésime annuel de notre auteure belge préférée.
Au vue de toutes les avant-critiques et autres commentaires très positifs (Baptiste Liger le premier en juin dernier), j’attendais de pied ferme la sortie de Frappe-toi le coeur, l’édition 2017 du champagne Nothomb. Et puis je l’avoue, après le jury des lecteurs l’Express/BFMTV 2017 dont elle était notre présidente, j’avais hâte de la retrouver.
Alors que vaut cette cuvée?
« En une interrogation, il avait changé son destin, non seulement parce qu’elle avait décidé qu’elle vivrait, mais aussi parce qu’elle avait enfin un objectif : exercer la profession de cet homme. Elle serait médecin. En regardant et en écoutant les gens avec attention, elle sonderait leur corps et leur âme. Sans plus de bavardages que le docteur de la veille, elle mettrait le doigt sur la faille et sauverait des êtres humains. La fulgurance de son diagnostic surprendrait. A 11 ans, se découvrir un but change tout. Que lui importait son enfance gâchée ? Ce qu’elle voulait désormais, c’était devenir adulte pour accéder au statut sublime de docteur. La vie conduisait à quelque chose d’important, il ne s’agissait plus d’endurer des tourments absurdes, puisque même la souffrance pouvait servir à explorer celle des malades. Ce qu’il fallait, c’était grandir. »
Le thème du livre est la première singularité de ce roman. On ne s’attend pas à ce qu’Amélie traite et parle d’un tel sujet. Nous suivons la vie de Diane, depuis sa naissance jusqu’à … je vous laisse découvrir. Diane a un frère et une sœur, et le moins que l’on puisse dire, c’est que sa vie est loin d’être simple. Par contre, quelle volonté, quelle envie, quelle détermination! Elle est belle, elle est intelligente, elle est naïve… Elle attire et elle repousse; elle donne tout pour les autres et pense si peu à elle… Qui ne se reconnait pas dans ce portrait ?
« C’était bien compliqué. D’autant plus complexe que le suprême but de la jalousie consistait à être regardée avec envie par les hommes et les femmes : curieusement, là, il n’y avait plus de discrimination. Il n’y avait pas de conclusion possible à ces ruminations ; au moins, maman était contente d’avoir un fils. Ce qui allait dans le sens du bonheur maternel faisait le bonheur du monde entier »
On ne peut que s’attacher à Diane et être captivé par son histoire. C’est la deuxième chose que je mettrais en avant: l’auteur suscite l’envie d’en savoir plus, donne les clés de la réflexion mais laisse ensuite son lecteur faire sa propre interprétation, écrire les prochains tomes. Elle expose le sujet plus ou moins en profondeur, démarre l’analyse mais au final ne juge pas. D’aucun pourra le regretter et dira qu’une nouvelle fois c’est superficiel. Personnellement, et vous connaissez depuis quelques années ma dureté envers Amélie, j’ai beaucoup apprécié. Cela permet une lecture à plusieurs niveaux, ouvrant des perspectives à ceux qui le souhaitent ou laissant une belle histoire simple à lire pour les autres.
Et c’est cela que je soulignerai ensuite: l’écriture et le style. On n’est pas dépaysé: c’est simple, équilibré, juste, agréable à parcourir. La construction est des plus habituelles: des chapitres courts, des phrases courtes et percutantes. On ne retrouve pas de grandes formules, ni du style ampoulé ou de longueurs. Tout est subtil et souvent poignant, parfois douloureux voire dramatique.
« Soyez économe de votre mépris, il y a beaucoup de nécessiteux ; Olivia n’avait pas besoin d’obéir au fabuleux précepte de Chateaubriand parce qu’elle regorgeait de mépris. Elle pouvait le distribuer en prodigue, il lui en resterait toujours. L’avantage de mépriser consiste à se sentir supérieur à qui l’on méprise. »
Enfin, comment ne pas évoquer le titre et l’emprunt à Alfred de Musset. Belle trouvaille. Tout comme les allusions littéraires (Chateaubriand) et obligatoirement l’ode à sa propre personne avec son inconditionnel amour du champagne Deutz. Tout ce que l’on connait et tout ce que l’on aime chez elle. (ou que l’on déteste…)
A l’arrivée, deux heures après avoir débuté ma dégustation, je referme la bouteille Année 2017 marqué et totalement conquis. Oui vous avez bien lu, totalement conquis. Je ne pensais pas qu’Amélie Nothomb pouvait être aussi marquante avec un sujet ne la concernant pas… directement. Se construire à travers les épreuves, un thème inattendu, une réussite incontestable.
Pour être totalement honnête, j’ai un regret ou plus exactement une incompréhension: pourquoi ce twist et cette divagation avec Olivia? C’est la partie la moins convaincante pour moi et c’est dommage… car elle ternit un peu mon enthousiasme.
Si vous ne savez pas quoi lire, n’hésitez pas une seule seconde: achetez Frappe-toi le coeur la cuvée 2017 de Amélie Nothomb. C’est un très grand cru que je recommande très fortement.
5/5
Petit clin d’oeil et coup de pouce à un nouveau blog d’une fan inconditionnelle de Amélie. Bienvenue Geneviève dans le joli monde des blogueurs littéraires. Son avis est ici.
Merci Benoît et heureuse que tu me rejoignes cette fois ! J’aime beaucoup ta chronique !
Aïe aïe aïe, mon avis est diamétralement opposé. C’était mon premier Nothomb. J’ai trouvé ça très plat, manquant singulièrement de profondeur et pour tout dire, assez mal écrit; J’avoue que je suis extrêmement déçue… On aura peut-être bientôt l’occasion d’en parler…
Chacun est différent et c’est tout l’intérêt. Avec plaisir pour en discuter. et surtout merci pour ton message si honnete
Je suis ravie que tu ne m’en veuille pas. C’est toujours un peu difficile d’exprimer une opinion aussi tranchée… Mais j’ai assez soif de comprendre ce qu’on lui trouve… 🙂
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ça fait belle lurette que je ne lis plus Amélie, enthousiasmée par « Hygiène de l’assassin » mais profondèment déçue par quelques uns de ses livres ensuite. Je trouve que ça manque singulièrement de profondeur, voire d’effort dans l’écriture (dialogues ineptes, platitude de la narration…) et son passage à la LGL m’a scotchée ! Elle était presque incompréhensible, bourrée de tocs non ? Je passe mon tour ! et des romans de 160 pages imprimés en police 16 pour 16 euros, chaque fois je me sens arnaquée…..
Je l’ai lu en livre audio ce week-end (pas encore chroniqué sur mon blog, mais ça devrait venir). J’ai apprécié, même si tout cela a un petit côté malsain. J’ai trouvé ça tellement horrible cette mère jalouse de sa fille…