La cache est le premier roman du journaliste Christophe Boltanski. Il vient d’obtenir le prix Femina 2015.
Je remercie les éditions Stock pour cette lecture numérique.
Françoise Fondevilla, Anne Franski , Marie-Elise Ilari, Myriam Guérin, Annie Lauran, Marie Nélet, Myriam Thélen, Etienne Boltanski, Jeanine Giraud… Cette famille n’est qu’une longue suite de pseudonymes, de sobriquets, d’alias achetés ou imaginaires. Des noms plus tout à fait propres à force d’en cacher d’autres qui posent tous la même question : « Qui sommes-nous ? »
ou encore :
A force de raconter notre histoire, de la mettre en boîte, de la tourner en dérision, de la pétrir, de la triturer, de la mélanger à d’autres récits, il disait ne plus être capable de démêler le vrai du faux. Il en venait à douter, et, par là même, nous aussi, des anecdotes, socle de notre mythologie familiale, qu’il ressassait depuis des années. Elles n’étaient plus que des éléments d’une biographie officielle présentée comme largement factice.
Voilà en deux citations un bon résumé de ce premier roman si atypique. Je devrais d’ailleurs plutôt parler de récit autobiographique d’une saga ou une tribu familiale hors du commun:celle des Boltanski. Présenté de manière très originale, ce livre est très bien écrit et ne laisse pas insensible.
Christophe Boltanski découpe son témoignage en plusieurs parties d’une quinzaine de chapitres courts à très courts, chacune décrivant une partie spécifique de la maison familiale, la cache. La cache, c’est l’entre-deux, cet endroit qui a servi de refuge au grand-père médecin juif pendant l’occupation durant la seconde Guerre Mondiale.
Pour bien expliciter et rendre les choses encore plus claires pour le lecteur, il nous livre également en tête de celles-ci un schéma de la construction avec l’emplacement de chaque salle. C’est intelligent, concis et bref (« cuisine », « bureau », « salon »,…). Cela donne un découpage certes disparate mais utile et à l’arrivée un roman captivant.
Ma famille ne vivait pas recluse, mais soudée.
Il est passionnant en effet de découvrir l’histoire de son grand père médecin, sa grand mère (mère grand à la personnalité si particulière, riche, autoritaire), son oncle, sa tante, son père, sa sœur … C’est un véritable puzzle où toutes les pièces s’agencent au fil des pages. Le culte du secret, des fausses identités, des dissimulations, de la fuite, est très fort tout au long du livre. On imagine sans difficulté mais avec beaucoup d’empathie le quotidien particulier d’un juif durant la seconde Guerre Mondiale. Cette quête de l’idendité, ce besoin de savoir et de connaitre ses origines sont subtilement décrits.
Lorsqu’elle commença la photographie, elle décida de signer son travail sous une nouvelle identité : Anne Franski. Un mixte, évidemment, de Boltanski et d’Anne Franck. Toujours cette obsession de la guerre, de la mort et de l’enfermement. Elle ne m’a jamais dit pourquoi elle avait choisi ce nom.
L’écriture est très agréable, souvent riche en détails et précisions pour que la scène soit très visuelle et aisément imaginable pour le lecteur. On retrouve bien là le côté de journaliste de l’auteur avec de nombreuses incises et trois voire quatre compléments pour une seule et même description. Cela donne des phrases souvent longues mais qui restent fluides à la lecture et très compréhensibles. Parfois elle peut aussi être très brève et ciselée. Certains chapitres se résument à quelques phrases, très explicites ou intenses en émotion.C’est fort, profond.
Cela fourmille d’anecdotes (elles sont à peine abordées ou très longuement décrites) mais on ne trouve jamais de jugement de la part de l’auteur. Encore une fois son métier de journaliste transpire: l’information plus ou moins objectivement en respectant la neutralité autant que faire se peut.
Comme il était de règle, le salon constituait un espace hybride, situé à la frontière de l’intime et du social, de l’intérieur et de l’extérieur, du labeur et de l’amusement, de la souffrance et de la liesse. C’était un local professionnel, une salle d’apparat, un lieu de représentation, de prestige, figé dans son décor du faubourg Saint-Germain dont la peinture défraîchie et les murs cloqués accentuaient le caractère factice. Sans cesse à quatre pattes, les yeux fixés sur mon monde miniature, j’ai oublié ce qu’il y avait précisément au-dessus de ma tête.
Douceur, joies, douleurs, nostalgie, compassion, mais aussi incompréhension et doute. Tous ces qualificatifs conviennent à cette famille dont l’histoire est troublante et à laquelle on s’attache. Les pages se tournent rapidement, le livre se lit très facilement malgré quelques divagations de l’auteur et longueurs (mon petit point négatif sur ce roman). Le sentiment de l’auteur serait-il résumé dans cette dernière citation? Je vous en laisse juge.
Etant non-croyant et dénué de toute culture religieuse, j’ai du mal à la comprendre, plus encore à en parler. Je ressens même une gêne à aborder ce sujet qui m’évoque aussitôt, par un mélange d’ignorance et d’effroi, des volutes d’encens, des prières scandées d’une voix monocorde, comme des formules magiques, des corps tordus, prosternés, des bouches et des mains collées à des chapelets, à des croix, tout un fatras mystérieux et charnel qui devrait m’émouvoir et donc je ne perçois que le ridicule. Il y a aussi de la honte.
Roman passionnant à la construction aussi atypique qu’intelligente, je vous conseille la lecture de la cache. C’est une belle réussite pour Christophe Boltanski qui mérite son prix et que je suivrai assurément dans l’avenir.
4/5
Je viens de le lire pour le Prix du Roman des Etudiants France Culture et Télérama, et j’ai adoré !
Il sera sûrement bien positionné dans le classement final je pense en effet.