La guérilla des animaux – Camille Brunel

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La guérilla des animaux

Dans le cadre des 68 premières fois, j’ai pu découvrir le premier roman de Camille Brunel La Guérilla des Animaux publié chez Alma Editeur.

Je remercie nos fées Charlotte, Eglantine, Nicole et Sabine pour ce choix judicieux.

« Nos océans ont la gangrène. La pourriture prend la forme d’immenses aires où l’oxygène s’estompe à une telle vitesse que même les poissons n’ont pas le temps de les quitter. »

 

Je le reconnais volontiers je n’aurais jamais ouvert ce livre si je n’avais pas appartenu à cette belle aventure. Pas que le sujet ne me plaise pas, je suis ouvert et ça fait du bien de lire de tout, mais davantage à cause du titre et des « bruits » que j’avais entendus ici ou là à propos de cet ouvrage.

Quelle erreur magistrale aurais-je alors commis ! Merci Nicole pour tes commentaires sur les réseaux qui ont attisé ma curiosité.

Ce livre « original » ne plaira clairement pas à tout le monde, et n’est pas à mettre entre toutes les mains tant les propos sont durs, choquants, violents… La sensation de malaise est persistante et ne fait que s’amplifier au fil des pages.

D’aucuns diront même que cela tourne au fanatisme dans le dernier tiers du livre, que c’est plus un réquisitoire qu’autre chose. Ce n’est pas faux… J’ai regretté également cette facilité que s’autorise l’auteur, même si cela reste cohérent et correspond totalement à sa ligne éditoriale. Il défend sa doctrine contre vents et marées.

« On a trop longtemps considéré que les crimes contre l’humanité ne visaient que les humains, alors que les massacres de loups, de bovins, de baleines, constituent des crimes contre l’humanité aussi – ce sont des portraits d’homo sapiens en trou béant, sans regard, l’âme crénelée tout juste bonne à égorger ce qu’elle rencontre. Je l’attaquerai sans relâche. On ne m’aimera pas. Tu ne m’aimeras plus. Je ne vais pas me tuer, mais ma vie est finie. Voilà, c’est ce que je suis venu te dire. »

De quoi parle-t-on ?

D’un roman animaliste, antispéciste. Fiction ou roman d’anticipation ? Chacun y mettra le terme qu’il souhaite en face. En dire que c’est un roman d’aventures fera par contre consensus.

Nous suivons le combat sans foi ni loi de Isaac en faveur des animaux. D’abord seul, puis rejoint dans sa croisade par Yumiko (son alter égo végane féminin), puis seul de nouveau après le décès de cette dernière, Isaac débute dans la jungle indienne en abattant des braconniers qui viennent d’éliminer une tigresse qui attendait des petits. Les 38 chapitres qui suivront sont dédiés à la cause animale, ses souffrances mais aussi le comportement et les agissements des Hommes, le dérèglement climatique, la pénurie progressive de nourriture…

Nous « participons » aux aventures de Isaac qui se déplacent aux quatre coins du monde pour sa guérilla. Meurtrier en fuite et recherché de toute part, il ne reviendra jamais sur les lieux de son « crime ».

« Lorsque les chauves-souris commencèrent à tomber du ciel australien, quelque chose changea chez ceux qui en furent témoins. On avait eu moins de mal, au fil des siècles, à convaincre les gens de l’existence d’une entité supérieure toute-puissante que de l’intelligence des abeilles, des daims, des opossums et des oies sauvages. Ce jour-là on se mit à douter. Dieu existait peut-être un peu moins que les animaux eux-mêmes. »

Pour servir un texte engagé et militant, l’écriture ne pouvait être que provocante, acide, dure, assurément impactante. Il y a un gros travail de construction de phrases, de choix de mots justes pour faire mouche. Cela donne ainsi un style élégant et d’une grande beauté quand la nature est évoquée. Ceux sont les petites bouées de sauvetage, les bouffées d’oxygène au milieu du sang, le cadeau de Camille.

Les chapitres sont courts dans leur majorité afin de dynamiser la lecture et d’éviter au lecteur de les parcourir ou les « zapper ». En effet, outre le thème polémique, certains sont d’une rare violence ce qui entraine souvent malaise et nausée. Tuer des hommes volontairement et de sang-froid, faire couler le sang pour la défense des animaux vs les hommes, c’est très dur. Surtout si vous êtes d’une nature sensible et si vous vous impliquez réellement dans cette lecture. A noter enfin que certains chapitres sont écrits et pensés par les animaux eux-mêmes afin de nous forcer à la réflexion. Troublant mais évocateur.

La symbolique du regard

A la fin du roman, la boucle est bouclée si je puis m’exprimer ainsi. La guérilla du héros est rentré dans le droit commun. Il a réussi à sensibiliser la planète sur les dangers et la disparition dramatique d’espèces, sur les ravages des braconniers, sur l’absurdité des pêches industrielles. Et surtout sur le côté vital et indispensable de la survie des animaux.

Il n’y a donc plus d’intérêt pour Camille Brunel à ce qu’il soit moteur. Tout est sur la place publique, de nombreuses associations et personnages soutiennent et se réclament de ce « combat ». Isaac perd alors la vue. Il n’en a plus besoin: ce qui était invisible, ce que personne ne voulait voir est public. C’est la fin du film pour lui. Je trouve cette symbolique très forte et fort judicieusement. Bravo !

« Je pense vraiment que l’humanité entière a un peu honte, que je ne fais pas que plaquer la mienne sur elle. La banalité du Mal n’existe peut-être pas tant que ça : les enfants et les chiens comprennent très vite quand ils ont fait quelque chose de mal, ils n’ont pas besoin de rationaliser beaucoup leur situation. Alors les adultes humains… » 

Un premier roman choc, surprenant et perturbant qui force le lecteur à réfléchir et surtout s’interroger. Une écriture percutante, militante, engagée, des scènes violentes, de multiples sujets abordés, mais à l’arrivée un roman complexe qui ne laisse pas indifférent loin de là. On ne ressort pas indemne de cette intrigue. Remise en question et réveil des consciences ? Il faut le souhaiter sur pas mal de points…

En ce qui me concerne, j’ai aimé, je ne regrette pas et je remercie l’auteur pour notre franche et sympathique discussion. Je n’adhère pas à toutes les thèses qu’il développe (notamment l’usage de cette violence qui a provoqué un certain malaise et ce côté trop idéaliste) mais reconnais qu’il a le mérite de les défendre avec vigueur et intelligence. Brillant plaidoyer.

Je suivrai et lirai par la suite assurément Camille Brunel.

4/5

BL et Camille Brunel
Soirée 68 Premières Fois Décembre 2018

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