Dans le cadre de ma participation au jury Lecteurs du prix L’Express/BFM 2017, j’ai eu la chance de lire dans la sélection du mois de Janvier le dernier ouvrage de Hervé le Corre, Prendre les loups pour des chiens.
Je remercie l’Express et les éditions Payot et Rivages pour l’envoi de l’ouvrage.
« Le temps ne passe pas. Il stagne comme l’air brûlant, comme les eaux croupies qui remplissent les fossés et les mares autour d’eux. La vie en panne. «
La première des choses qui marque lorsqu’on reçoit le dernier ouvrage de Hervé le Corre, c’est ce titre énigmatique. Qu’est-ce que l’auteur a bien voulu sous-entendre ? Cela intrigue et donc obligatoirement incite à rapidement dévorer l’ouvrage.
Et c’est ce qui arrive tant l’histoire est addictive, le rythme haletant, les rebondissements fréquents. Difficile de lâcher l’ouvrage une fois ce dernier ouvert.
« Echoué à la sorte de prison dans un nid de couleuvres aux prises avec des crotales. »
Franck sort de prison après avoir purgé sa peine pour un braquage commis avec son frère Fabien mais pour lequel il a été le seul à être condamné. Il part vivre chez Jessica et ses parents en attendant le retour de son frère parti en Espagne. La suite est loin d’être une vie au milieu d’un fleuve tranquille… Drogue, bagarres, malfrats, folie, sexe… un vrai roman noir dans la campagne bordelaise !
« Un piège vers lequel tu te précipites en pressentant le piège. Ou un poison délicieux qui fait effet lentement en t’accrochant comme une drogue. Une fleur toxique. Un fauve doux capable de te dépecer à tout moment. Et au milieu, cette gamine quasi muette qui jouait seule et ne pleurait presque jamais même au comble de son chagrin. Même depuis le massacre. Elle ne dit rien, se contente d’être triste et de t’observer à la dérobée ou de poser sur toi un regard songeur, et tu te sens soupesé et jugé par ces grands yeux noirs toujours déçus par la bêtise et la méchanceté des adultes. »
L’écriture est forte, violente, âpre, précise, ciselée, minutieuse, expressive, souvent brutale. Sans concession, elle décrit parfaitement le côté véreux, sans foi ni loi des hommes et des femmes de cette intrigue. Les dialogues sont nombreux et participent à la dynamique du récit. Les chapitres en général courts se succèdent à une vitesse folle.
« Jessica l’a redressée en l’attrapant par le bras et a jeté le libre au loin puis l’a giflée si fort que la gosse est tombée au sol et elle l’a relevée en l’accrochant par le haut de sa robe et l’a frappée encore, dans le dos, sur le visage, en poussant des sortes de gémissements enragés accompagnant chaque coup qu’elle donnait cependant que Rachel se laissait battre sans réagir, inerte, comme une poupée de chiffon »
Au milieu de cette noirceur et cette dureté, l’auteur installe la petite Rachel, véritable rayon de soleil auquel le lecteur s’attache. Grâce à elle, on reprend notre souffle, on sort la tête des ténèbres et on reprend notre souffle. En effet, Hervé le Corre excelle dans les descriptions, dans les détails. Véritable tour de force dans lequel il restitue superbement une atmosphère lourde, dérangeante et pesante. Tout est parfaitement crédible.
« Il a conduit longtemps ébloui par la lumière écrasante du pré, la silhouette de Rachel y tremblant parfois quand il essayait de se la rappeler dans sa robe rouge. Une envie de pleurer lui tenait la gorge. Puis, à mesure qu’il s’éloignait de la maison, l’image s’est dissipée et une tristesse plus profonde et plus vaste l’a saisi, le cœur fou, et la pensée qu’il allait surprendre ce type dans sa planque et le tuer le faisait parfois frissonner ou claquer des dents »
Parfaitement maîtrisé, ce polar est de nouveau de très haute volée et d’une grande qualité. L’auteur confirme une nouvelle fois qu’il est un acteur majeur de ce domaine en France.
4,5/5