Simple d’esprit – Jean-Claude Lefebvre

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Quelle belle découverte que ce Simple d’esprit de Jean-Claude LEFEBVRE aux éditions La Trace. Une couverture magnifique, une écriture somptueuse, une histoire aussi touchante que marquante… Je l’ai refermé depuis bientôt 15 jours mais il résonne toujours en moi tant il est fort et intense..

Passant le week-end dans l’Ubaye, cette lecture s’est avérée à la fois de circonstance mais également une opportunité d’échanger avec l’auteur en personne.

« Chiéou lou Fada de Bousiéyos. Je suis le FADA DE BOUSIEYAS : « lou fada », chez nous, tout en haut des montagnes, c’est le simple d’esprit, l’idiot du village. Mais c’est plus gentil de dire « lou fada… ». « Lou Fada » : c’est celui à qui « lou boun Diéou » a donné d’être « toujours countent » comme dit maman.

Le narrateur, « Lou Fada », c’est Jean-Noël. Né la veille de Noël, d’où son prénom, il a failli ne jamais voir le jour tant l’accouchement a été difficile… Marqué à vie dès les premières secondes par des séquelles à la fois physiques et intellectuelles, il n’en fallait pas moins pour qu’il soit catalogué comme l’idiot du village.

Page après page, chapitre après chapitre, nous voguons aux côtés de Jean-Noël, de ses premières respirations à son dernier souffle. Nous grandissons avec lui, nous avons nos premiers émois amoureux, nos fiertés et déceptions, nos joies et tristesses…

Comment se construire quand on est différent ? Comment le vit-on? Quand surtout on est « vu » comme différent, comme un simple d’esprit subissant moqueries et autres ingratitudes ? Notre monde est-il différent ? De vrais questions subtilement amenées et abordées par l’auteur.

Se révolter, Jean-Noël le fera et ça lui coûtera. Loin d’être idiot, il sait s’adapter et donner le change. Toujours le sourire aux lèvres, toujours content lui a dit maman. J’ouvre une parenthèse et m’écarte un peu du fond pour parler de forme: L’utilisation du patois, quelle belle trouvaille ! Un parfait mariage avec le thème, la campagne, les villageois, les anciens… Quel bonheur ! Je ne pouvais qu’adhérer ayant personnellement connu ce genre de situation dans mon petit village landais. A la terrasse du bistrot du coin ou durant les repas familiaux, c’était une tradition ! Que d’aucuns continuent à faire vivre, mais qui malheureusement se perd comme tant de valeurs du passé…

« Elle avait la peau douce et chaude maintenant…Elle a relevé la tête, ses yeux brillaient de mille points d’or, elle a pris ma bouche dans un baiser de chaleur de lèvres, de goût de cerise brûlante, de tournement de tête et ce fut une tempête de corps, de douceur de peau, d’éclairs de désir et d’envie de nous, d’éboulement de plaisir encore et encore, roulant sans fin, corps emmêlés l’un à l’autre jusqu’à l’explosion de soleil comme un feu d’artifice du 14 juillet, un grand bonheur d’amour. »

Il découvre l’amour. C’est Marie, son alter ego, orpheline, mise à l’écart… 2 écorchés de la vie en quelque sorte, mais deux battants qui sourient à la vie et profitent. La encore, que d’émotions, que de sentiments profonds ressentis à la lecture des lignes… L’écriture de Jean-Claude est vraiment très évocatrice. Avec elle, il aura un fils, sa fierté. Mais il connaîtra aussi l’abandon et l’affront de l’adultère, avant le retour et la mort de Marie. Toujours fidèle, amoureux, jamais Jean-Noël ne déviera, ne transigera avec ses valeurs.

« Avec Néan nous sommes descendus comme si on avait des ailes et je me répétais : « je veux la marier Marie, je veux la marier » mais arrivé vers chez nous il m’est venu le doute :  est-ce qu’un Fada peut se marier …. Le doute, c’est terrible, c’est comme la pourriture dans un fruit, si on le laisse il gâte tout, dans mon grand bonheur tout neuf il y avait une épine. »

Il aura son ami indéfectible, l’âne Néan. Comment ne pas s’attacher à ces deux personnages. Car oui Néan c’est un vrai personnage dans ce récit, fidèle accompagnateur, confident, ami à qui il partagera ses interrogations, ses moments de doute mais aussi de joie. Un duo aussi atypique que touchant.

Et que dire enfin, pour ne pas être trop dithyrambique, de ce superbe voyage que nous faisons, tant l’écriture est descriptive et poétique. On se promène dans la nature, on visualise les montagnes, on frissonne avec la neige, on ressent la tempête ou l’orage. On randonne, on découvre, on a réellement l’impression d’y être. Une vraie bouffée d’oxygène, un moment hors du temps.

« La vie en montagne ne coule pas, elle saute comme la Tinée de caillou en caillou, de vasques bouillonnantes en gravières tranquilles, de douceur en douleur, de chaleur en fraîcheur, de gerçures et d’onglées en sueur et brûlures, de saison en saison »

 

Vous l’avez compris, point de pathos, ni de mièvreries. Bien au contraire, même si la mélancolie est présente, c’est un récit tout en sensibilité servi d’une remarquable écriture. Comment il pouvait en être d’ailleurs autrement. C’est non seulement la marque de fabrique des éditions de La Trace, mais il aurait été impossible de traiter aussi intelligemment et justement la question de la différence.

Les pages se tournent, le temps s’écoule sans qu’on y prenne garde. Impossible d’abandonner ce texte, impossible de le lâcher avant d’en connaître l’épilogue tant c’est beau, c’est fort, c’est émouvant.

Je ne peux que vous recommander très fortement cet ouvrage. Vraiment !  Merci Jean-Claude, merci Florence et Jean-Philippe pour avoir publié une si belle œuvre à nouveau. Bon voyage à tous.

4,5/5

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