Article 353 du code pénal de Tanguy Viel fait partie de la sélection du mois de Janvier du prix L’Express/BFMTV. J’ai donc eu la chance de découvrir cet opus en tant que membre du jury.
Je remercie l’Express et les Editions de Minuit pour l’envoi du roman.
« C’est peut-être cela la principale chose que j’ai apprise ces dix dernières années : qu’on finit toujours par aimer qui nous aime. »
Article 353 du code pénal de Tanguy Viel est avant tout un roman politique et humaniste, une magistrale étude de la société d’aujourd’hui. Avec une finesse remarquable, l’auteur nous offre un huis clos addictif de plus en plus pesant, très prenant et rempli d’humour.
« […] Sans doute c’est le sort des parents, j’ai dit, c’est le sort des parents d’un jour se retourner et craindre avoir failli ».
Que vaut la parole d’un homme face à la justice ? Doit-on se fier aux preuves ou à son intime conviction ? Doit-on rester dans les clous de la justice ou suivre ce que dicte sa conscience ?
«Parce que le problème, c’est que même un gars mauvais, même la pire des crapules, il y a des moments où elle n’est pas une crapule, des moments où elle ne pense pas à mal. Et croyez bien que ça ne simplifie pas les choses pour les gens comme moi. Les gens comme moi, ils ont besoin de logique, et la logique voudrait qu’un gars méchant soit méchant tout le temps, pas seulement un tiers du temps.»
Toutes ces questions sont merveilleusement amenées et traitées par le récit d’un homme, Martial Kermeur, qui narre au juge l’assassinat de Antoine Lazenec, jeté volontairement à l’eau durant une partie de pêche. Véritable scénario de sa vie, l’accusé déroule tous les événements de cette dernière : son travail à l’arsenal puis son licenciement, le départ de sa femme, les promesses de Lazenec, son investissement, comment il s’est fait avoir et comment il a ensuite réagi…
« Oui, c’est vrai, il y a eu un début pour moi, je devrais dire : une faille. Il y a eu une faille en moi et il y est entré comme le vent, parce qu’il soufflait autant que le vent, toujours prêt à se jeter dans toute brèche ou fissure du faux mur que j’avais pourtant essayé de faire passer pour de la brique, mais enfin je ne suis pas en granit. Sinon, comment expliquer qu’un jour je me sois retrouvé à côté de lui sur le siège passager de sa Porsche, à longer la mer sur la quatre-voies pour aller boire une bière sur le port, sous le seul prétexte de parler de pêche et de bateau, oui, surtout ça, de bateau, puisque justement il venait de s’en offrir un, de bateau, du genre même de celui que je pensais m’acheter avec l’argent de l’arsenal-oui, quelle coïncidence, j’ai dit un jour à Lazenec, parce que je pensais m’acheter le même modèle »
Le style est particulier puisque très oral avec de nombreuses répétitions. S’il peut surprendre au premier abord, il est parfaitement compatible avec la narration. Mieux il se marie idéalement à la volonté de l’auteur dans sa quête de faire passer des messages, de pousser le lecteur dans ses retranchements et dans ses réflexions. On s’identifie et même on prend la place du juge, on est en face de Kermeur, on assimile les faits de manière brute et on se fait au fur et à mesure des révélations sa propre opinion. Un véritable tour de force tant c’est fluide, juste et fort. On est littéralement immergé dans cette salle du tribunal, capté par le monologue de l’accusé qui ne nie pas sa culpabilité (sur la forme) tout en justifiant ses actes (sur le fond).
L’écriture est précise, pointilleuse, les mots soigneusement choisis.
« Je crois que c’est à ce moment-là qu’il a commencé à pleuvoir un peu, une bruine sans vent qui ne fait pas de bruit quand elle touche le sol et même enveloppe l’air d’une sorte de douceur étrange à force de pénétrer la matière et comme la faisant taire. »
C’est un vrai plaisir de lecture – on peut comparer cette audition à un thriller page-turner tant la fluidité des explications incite à vouloir en savoir toujours plus. Tanguy Viel excelle. Il maîtrise parfaitement son art de romancier et nous offre un superbe roman qui est un des meilleurs que j’ai lu depuis longtemps. Je recommande très fortement.
« Vous pouvez appeler ça homicide volontaire ou je ne sais pas quelle expression qui sait dire les choses dans une langue normale mais ce que j’ai fait, monsieur le juge, ça ne me donne pas le sentiment d’être un meurtrier, ce que j’ai fait : je l’ai ostracisé, vous comprenez, ostracisé, comme une verrue qu’on brûle pour régénérer la peau, si la peau ici c’est notre ville, alors il y a un moment, il faut savoir enlever le mal à la racine. Je l’ai fait pour notre bien à tous ».
5/5 COUP DE COEUR
Retrouvez ma chronique sur le site de l’Express ici
Il n’y aucun doute, je le lirai !
Ah super, on va pouvoir suivre tes avis tous les mois sur les livres du prix alors.
Oui je vais essayer de publier régulièrement sur le blog les chroniques. Même si c’est mieux de venir ici, elles seront de toute façon toutes sur le site de l’Express (Rubrique Express Yourself). Merci pour ton commentaire enthousiaste