Dans le cadre des coups de cœur de la rentrée littéraire 2015, j’ai eu la chance de lire en version électronique « Camille, mon envolée» de Sophie Daull. Je remercie infiniment les librairies Decitre ainsi que les éditions Philippe Rey pour cette avant-première.
Bouleversant, touchant, poignant, marquant, tellement émouvant… que d’adjectifs pour qualifier ce petit roman de Sophie Daull relatant la tragique disparition de sa fille à l’âge de 16 ans… C’est à n’en pas douter un des textes très forts de cette rentrée littéraire 2015.
Alternant le récit des derniers jours de Camille (des premières fièvres à l’enterrement) et ses propres ressentis, le travail de deuil « jusqu’au 4ème anniversaire de ta mort se comptant encore en mois », Sophie Daull nous fait partager sa tristesse et nous parle de sa Camille, son envolée. En quelque sorte, elle prolonge la vie de Camille. Cette construction du récit nous permet de souffler, de reprendre notre souffle et de libérer toutes les émotions accumulées dans les petits chapitres. Il permet aussi de quitter le livre et de le reprendre sans souci. Malgré le nombre de pages réduit, il est en effet impossible de le lire d’une traite.
Comment se relever après un tel drame ? Comment avancer ? D’aucuns disent que quand les paroles ne viennent pas, quand la bouche reste désespérément close et la voix muette, l’écrit permet de se libérer, d’exprimer ses maux pour enfin aller de l’avant.
Terrible événement que la mort de son enfant dans la force de l’âge, surtout quand celle-ci nécessite une autopsie pour ne pas demeurer inexpliquée… et qu’on a l’impression que tout n’a pas été fait pour « sauver » son enfant.
Terrible douleur pour des parents, pour les proches mais également pour nous lecteur en lisant les lignes de Sophie Daull.
Âme sensible, prévoyez les mouchoirs… C’est souvent très dur, très émouvant…
Et heureusement parfois, quelques sourires nous surprennent au détour d’une page. Il est vraiment difficile de résumer et de parler de ce livre tant sa lecture est unique.
Sophie Daull se livre sans retenue : son écriture parfois poétique, parfois contemporaine est abordable et agréable à lire malgré l’événement… Les mots sont forts, les phrases marquantes. Rien n’est enjolivé, tout est « brut de fonderie ».
Ils disent : le ‘‘drame”, la “tragédie”, le “grand malheur qui vous est arrivé” (…) je leur dis de simplifier, d’appeler les choses par leur nom, de dire “la mort de Camille” (…) C’est aussi simple que ça. Je sens que ça leur paraît brutal, que ça déforme leur bouche. Mais tu n’es pas soluble dans les généralités.
Ajoutons également que ce témoignage, sorte de journal intime, n’est pas dépourvu d’ironie, ce qui donne encore plus de signification à certains passages. A l’instar de la maladroite d’Alexandre Seurat, il n’y a ni voyeurisme, ni pathos. J’émets néanmoins quelques petits reproches çà et là notamment l’omniprésence de l’alcool et de l’enivrement pour oublier…
« Adieu mon enfant » conclut le livre. « Il disait face au psy de service que, pppfff, rien à battre du travail de deuil, lui il appelle ça le devoir de fidélité. Ça m’a bien plu cette formule. Je te suis fidèle ». Le lecteur pourrait dire la même chose tant il a désormais l’impression qu’il connaissait Camille… Difficile d’oublier et d’enchainer après un tel récit.
Bel hommage de Sophie Daull à sa fille Camille. Je vous le conseille mais… à ne pas mettre entre toutes les mains…
4/5
Citations :
- J’ai vieilli. J’ai pris seize ans, tes seize ans, mon envolée. Papa lui, ne marque pas, comme tu sais. Il est toujours aussi beau. Une autre chose ; nous n’avons pas de nom. Nous ne sommes ni veuf ni orphelins. Il n’existe pas de mot pour désigner celui ou celle qui a perdu son enfant.
- Dans cette maison, on s’aimait, on s’engueulait, on riait : on était délicieusement libres de s’aimer, de s’engueuler, de rire. Ton jeune sang et le nôtre, un peu plus épais formaient un fleuve intranquille où l’avenir battait pavillon.
- Je voudrais aussi te raconter ce rêve que j’ai fait il y a quelques temps déjà. Tu m’entends ? C’est juste pour te distraire si jamais tu t’ennuies parmi les asticots. Tu adorais quand je racontais mes rêves – maman raconte bien.
- Ils disent : le ‘‘drame”, la “tragédie”, le “grand malheur qui vous est arrivé” (…) je leur dis de simplifier, d’appeler les choses par leur nom, de dire “la mort de Camille” (…) C’est aussi simple que ça. Je sens que ça leur paraît brutal, que ça déforme leur bouche. Mais tu n’es pas soluble dans les généralités.
- Zone non constructible. Mon enfant morte, ma si belle chérie, ne laisse rien, surtout, repousser sur ton Pompéi. On est bien dans tes cendres.
- Et puis je vous ai réunies dans une seule chandelle en espérant simplement que vous soyez tranquilles, peinardes, en repos dans le rien. Moi je reste, je veille, je vous prolonge, je vous invente, la très vieille dame, la blonde ado, mon corps entier comme une chapelle ardente, tout mon dedans façonné par la poussière de vos restes, tout mon dehors irrigué par le lait de vos silences, fontaine de jouvence
Un récit qui m’a aussi beaucoup touchée. Comment survivre à un tel drame? En tant que parent, c’est assez inconcevable. L’auteur, en alternant le récit du moment du drame et ses émotions quelques mois après parvient à exprimer sa douleur sans pathos. Elle a le courage d’étre assez transparente sur toutes les phases. Et Camille devient éternellement présente.
Eternellement présente et notre fille à tous suite à cette lecture.
[…] avis de Fleur, Tiben, Jostein, Stéphie, Laurie, Martine, Eimelle […]