« Chantiers » est l’ouvrage que publie Marie-Hélène Lafon à l’occasion de la rentrée littéraire de Septembre 2015. Sans Céline que je remercie infiniment pour sa chronique qui m’a littéralement convaincu, je serai passé à côté de ce livre. Cela aurait été dommage tellement c’est une pépite! Chantiers est un vrai bijou de lecture pour les amoureux de l’écriture, pour ceux qui préfèrent la forme au fond.
C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche – Pierre Soulages
Commençons ce billet par un avertissement. Ce livre n’est pas comme les autres. Le fond importe moins que la forme, l’écriture est âpre, la lecture pas simple et rarement fluide. Je pense que certains arrêteront en cours de route tant cela peut paraitre indigeste et difficile à ingurgiter. A l’instar de Réparer les vivants de Maylis de Kerangal par exemple, le style est très riche, les phrases longues, certains mots sont peu habituels, on peut rapidement friser l’overdose.
On le devine enseveli et enfoncé, comme on le serait dans une vaste robe de chambre en poil de chameau, cossue et enveloppante, enseveli et enfoncé dans, douillettement calé au creux d’une nébuleuse amicale, ancillaire, familiale; je me démêle pas tout, je vois passer des noms, des prénoms, des noms de lieux, des façons de dire et de nommer. On donne des nouvelles, on en reçoit, on en attend, on s’inquièterait presque, on s’inquiète, on a des attentions et on est entouré d’attention. Flaubert est un homme entouré; niché en ses entours.
Cet opus est un chef d’œuvre littéraire: écriture, mots, (souvent l’auteur nous fournit racine, origines latines ou grecques et explication du sens de ces derniers, quel délice!), phrases, grammaire, alternance des temps de conjugaison… de la belle et grande littérature comme on les aime et comme il se perd. On a l’impression d’être en cours de Lettres. Marie-Hélène Lafon joue au Professeur, celui qu’auraient aimé avoir tous les amoureux des lettres comme l’écrit si justement Céline dans sa chronique.
La fille, cette fille, a étudié le latin et le grec. Elle a appris l’étymologie de humilié. Elle sait que humilié, étymologiquement, veut dire qui est au sol, à terre, humus le sol en latin, comme dans inhumer et exhumer, et posthume; au sol, sur la terre, dans la terre, planté dans la terre comme un arbre. Depuis toujours, depuis qu’elle a pris conscience d’être, elle se sent comme ça, plantée en terre comme un arbre, comme l’érable dans la cour de la ferme;
L’auteur nous conte son rapport à l’écriture, son corps à corps avec elle. Les phrases sont recherchées, travaillées, argumentées, très détaillées et avec de très nombreuses incises.
Écrire serait une affaire de corps, de corps à donner, pas donner son corps, quoique, mais donner corps à, incarner, donner chair. LE verbe s’est fait chair. C’est une vieille histoire, on a déjà entendu ça quelque part, on s’en souvient dans un coin de soi, coin ombreux et confiné des enfants et du catéchisme, on l’a vu, on se souvient des messes, ceci est mon corps ceci est mon sang, buvez et mangez-en tous.
Elle nous explique la genèse de ses livres, leurs chantiers: leurs origines, leurs difficultés d’écriture, les contraintes qu’elle se fixe, ses maitres à penser, son rapport à la nature, le rôle de la musique, … mais aussi son éducation catholique, la ferme de ses parents, sa sœur, son enfance… C’est un pur régal.
On retrouve ainsi Gustave Flaubert, Claude Simon, Pierre Bergounioux, Richard Millet, Bill Viola, mais aussi la Callas et Bach.
Aujourd’hui la cantate BWV 80, Ein feste Burg ist unser Gott, Notre Dieu est une forteresse, est la plus lancinante de mes musiques d’établi. J’appelle musiques d’établi, ou de travail, celles qui, faisant barrage contre le monde, le bruit des autres et des choses, le temps, les pensées et préoccupations parasitaires, favorisent, et amorcent l’émission du texte, sa production matérielle sur le papier ou sur l’écran, l’accompagnent, ou l’ont au moins précédée, préparée.
Ce court texte (112 page) se lit, se relit lentement. On l’accapare, on s’en imprègne, on se perd dans la beauté, on ne peut qu’aimer et passer un superbe moment. Ce fut assurément mon cas et je ne peux que vous recommander de lire Chantiers, la quête et l’attente, dans le silence des jours, de ce qui n’a pas encore été lu, de ce qui n’a pas encore été écrit comme conclu magistralement l’auteur. J’en redemande!
5/5 COUP DE COEUR!
Je suis ravie ! 😀
Et moi aussi 😀
J’évite l’auteur depuis ma lecture de L’annonce. Et ton commentaire, malgré le coup de coeur me laisse penser que ce titre ne me plaira pas davantage.
Je te comprends, surtout après une mauvaise expérience…
[…] Une déception pour le dernier Philippe Delerm et deux coups de cœur pour Chantiers de Marie-Hélène Lafon et Anne.F de Hafid Aggoune. Ce fut dans l’ensemble des ouvrages […]