Cité – Nicolas Geibel

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Cité - Nicolas Geibel
Julliard

J’ai fait la connaissance de Nicolas Geibel lors d’un apéritif éditeur (Merci Camille et Pierre) le vendredi soir du dernier Quais du polar à Lyon. Je l’ai revu les deux jours suivants sur le salon. Nos conversations furent toujours d’une grande qualité. Soulignons également l’extrême gentillesse de cet auteur d’origine allemande, s’exprimant dans un français parfait.

Intrigué par la présentation que Nicolas Geibel en faisait et la manière dont il m’en parlait, j’ai plongé rapidement dans Cité, son premier roman.

Je remercie Nicolas Geibel pour cette belle dédicace ainsi que Camille de l’agence Trames de m’avoir offert cette rencontre.

Les soldats commençaient à appréhender. (Mais de quoi avaient-ils peur ? D’être attaqués ? De la cohue ? De l’éclat possible d’un coup de feu ou de la lame d’un couteau ? Peur des deux enfants et de leurs gestes et expressions insensés ? Peur de ce qui les faisait hurler comme ça? De l’inattendu jaillissant sur leur chemin tracé avec une précision mathématique sur une carte de la ville ? ) Contrairement à ce qu’ils avaient pu imaginer un instant auparavant, ils comprenaient qu’ils avaient affaire à quelque chose d’autre. À quelque chose qui les dépassait, tout comme les piétons radicalement arrachés aux flux des jours.

La peur

La peur est omniprésente dans Cité. Nicolas Geibel en fait un acteur principal. Lancinante, implicite, saisissante…permanente !

Qu’y a-t-il donc sur cette fameuse première photographie découverte sur le trottoir de la rue du Faubourg-Saint-Antoine ? Pourquoi l’enfant se met-il à hurler ? Pourquoi son ami qui vient à son secours, se fige et crie à son tour ?

Le même jour, une seconde photographie arrive au service administratif de l’antenne de Pôle Emploi de Clichy-sous-Bois…

Puis, il y a cette chanson qui passe sur les ondes lors du café de monsieur le ministre. Personne ne la connaît, personne n’a entendu parler de son auteur. Elle est extraite d’une playlist portant le nom « avburn ».

La suite de l’ouvrage permet au lecteur de suivre le quotidien de deux policiers de la Nébuleuse dans leur enquête. Nicolas Geibel alterne entre salles d’interrogatoires et perquisitions, entre vie professionnelle et vie personnelle, entre introspection et extériorisation. Au fil des pages, apparaît un monde d’une grande violence, l’effroi et un ministre dépassé par la tournure des évènements.

La peur se mue en terreur.

Explorer des grottes. C’est le nom que Julien et Pierre ont trouvé pour désigner ce type d’opérations lors de leur première intervention pour la Nébuleuse, deux ans auparavant.

Une atmosphère

Si Cité laisse présager un polar avec l’enquête de Julien et Pierre, il n’en est rien. Certes, celle-ci existe mais elle ne retient pas plus l’attention du lecteur. À l’inverse, l’atmosphère crée et maintenue par Nicolas Geibel est oppressante et marquante. Le lecteur ne s’en dépêtra pas tout au long des chapitres.

Brumeuse, opaque… Aux intersections des chapitres, on croise des enfants qui font les morts pour jouer pendant la récréation, tous les élèves du collège étendus sur le dos, sur le ventre, sur le côté sur le goudron de la grande cour les paupières fermées et les membres tordus. Jamais vous ne saurez ce que pense Julien ou tout autre personnage. Nicolas Geibel prend garde de n’y prêter aucune intention.

Nébuleuse… comme le nom du groupe auquel appartiennent Julien et Pierre.

Oppressante et dérangeante… Le terrorisme n’est pas loin mais n’est jamais explicitement mis sur le devant de la scène. Beaucoup de passages m’ont fait penser au Bataclan, voire au massacre de Charlie Hebdo. Pour autant, rien n’est jamais nommé.

Mais ma vraie peur ne vient pas de là. Elle vient de ce qui pourrait venir après. […] Oui. Après. Un après où tu peux être désigné comme un ennemi sans même avoir besoin d’agir parce que l’ennemi agit en toi. Indépendamment de toi et de ta volonté. Un virus. Une bactérie. La radiation. La fièvre. Tu es touché par cet ennemi comme par la Grâce de Dieu. Comme par la Grâce, tu es marqué et tu ne peux rien y faire. Et une fois désigné comme ennemi, toute cette machine dont tu es un rouage pensant, se met en mouvement.

Un roman atypique et surprenant

Vous l’avez sûrement compris, Nicolas Geibel nous livre un véritable OLNI, un texte atypique. L’intrigue n’est ici que secondaire. Ce n’est pas un roman classique, ce n’est pas un polar, ce n’est pas un essai… cela se rapproche davantage d’un roman noir, très noir.

Le style est parfaitement maîtrisé. Littéraire et exigeant, Cité n’est pas accessible facilement. Cité ne plaira pas à tout le monde. Cité effraiera même certains lecteurs tant il apparaît incompréhensible. Et à l’inverse, Cité ravira les amateurs de littérature, d’écriture belle, riche et audacieuse.

En effet, l’écriture est un point fort du roman. Brute et métaphorique, elle maintient le lecteur dans une sorte de mal-être pesant et durable. Très descriptive et figurative, elle immerge le lecteur dans les perquisitions, les interrogatoires et les HLM de la cité. Réaliste, elle dépeint une vision des plus sombres de notre société gangrenée par la violence sociale.

Nicolas Geibel est un écrivain appliqué. Il nous livre une copie de haut vol, un texte d’une grande qualité.

Dans un monde de terreur, chacun peut, à tout moment, devenir l’agent d’une cause interdite., a dit Gabriel. Chacun peut, par ses gestes et pensées, être désigné comme l’ennemi.

Un roman inclassable

Que conclure ? Je ressors bousculé de cette lecture, parfois sonné par la violence implicite. Ai-je aimé ce que j’ai vécu ? Je ne saurai véritablement vous répondre par oui ou par non tant Cité est original et spécial.

J’ai tout d’abord été perdu par l’organisation et la trame du récit, par l’absence au premier abord de ligne directrice. J’ai apprécié le style et en même temps il m’a profondément dérangé. Psychologiquement prenant, d’aucuns disent hypnotique, Cité ne vous laissera pas de marbre. Si vous faites le choix de l’ouvrir, allez jusqu’au bout et ne baissez pas les bras aussi dur cela soit-il. Comme je le soulignais plus haut, il déplaira autant qu’il attirera.

Pour ma part, j’y ai trouvé plus de points positifs que repoussants. Nicolas Geibel m’a clairement sorti de ma zone de confort en cassant les codes. Petit clin d’œil à Spinoza avec une musique issue de la playlist avrbvrn. J’ai été pris dans ce tourbillon et maintenu en apnée jusqu’à la dernière page de cet opus si réalistement noir. Nicolas Geibel m’a fait réfléchir en pointant la déshumanisation, le lien social si malmené dans notre société par cette violence totale.

J’attends avec impatience le prochain roman de Nicolas Geibel. Il est un jeune auteur qui mérite d’être suivi. Continuera-t-il à nous surprendre ou rentrera-t-il dans le rang ? J’ai ma petite idée sur la réponse 😉

3,5/5

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