Dans le cadre de ma participation au jury Lecteurs du prix L’Express/BFM 2017, j’ai eu la chance de lire dans la sélection du mois d’avril le dernier roman de Philippe Djian, Marlène.
Je remercie l’Express et les Editions Gallimard pour l’envoi de l’ouvrage.
« C’était loin, tout ça. Mais bon, quelques éclairs surgissaient parfois, des éclairs de chaleur, d’irrésistibles envies d’elle malgré la cargaison de jeunes femmes qui traînaient dans le coin, qui débarquaient par vagues, qui s’installaient avec leurs maris et leurs mioches et parmi lesquelles il n’avait qu’à choisir, toutes ces adorables petites salopes qu’il avait, quelque part, méritées – il estimait qu’il s’était suffisamment battu pour elles, pour son pays, pour Dieu sait quoi, et même pour ces connards qui lui avaient flanqué trois mois pour excès de vitesse, récidiviste ou pas. »
Dans sa dernière publication, Philippe Djian nous démontre une nouvelle fois que la forme est plus importante que le fond, que le style sera toujours sa préoccupation principale par rapport à l’intrigue.
« Il avala un cachet pour neutraliser sa pompe à protons. Vint ensuite la phase de stupéfaction douloureuse qui désorientait totalement, qui égarait, comme être pris par un soir d’orage au milieu des éclairs. »
« Page-turner » fluide et efficace, Marlène déroule une histoire banale : l’espoir d’une vie différente à travers une reconstruction. Richard dont la vie est un mix de séjours en prison, de bagarres, de baise et de magouilles louches, est marié à Nath avec qui il a une fille prénommée Mona. Avec Dan, son meilleur ami, ils essaient de se reconstruire après la guerre, tout comme Marlène, la sœur de Nath, qui débarque un matin et deviendra l’élément central de l’intrigue. L’atmosphère est de plus en plus pesante au fil des pages, on sent que quelque chose va se passer mais on ne sait quoi. Cela tarde à venir, Djian prenant un malin plaisir à retarder l’échéance avant de nous laisser littéralement le bec dans l’eau dans les dernières lignes.
« Il y avait longtemps que leur vie de couple n’était plus très réjouissante. Et voilà que son mari avait de nouveau l’œil qui brillait et la bouche sèche. En fait, ils étaient mus par cet instinct animal, primaire, qui prêtait à sourire. Richard en avait le front emperlé et il lui malaxait les mains sans trop savoir ce qu’il faisait, la lippe rêveuse, la queue dressée dans son pantalon de toile »
Si les premiers chapitres sont extrêmement courts voire faméliques, l’écriture réduite à son minimum, le style totalement déstructuré du fait de l’absence de ponctuation, ils s’étoffent par la suite avec des phrases de plus en plus belles, longues et travaillées. Mélangeant érotisme, mots crus et littérature classique, Djian manie avec maestria non-dits, métaphores, twists et rebondissements à volonté afin d’obliger son lecteur à rester attentif. Il est impossible de tomber dans la facilité malgré le caractère très fluide de l’ensemble tant il passe du coq à l’âne dans une même phrase ou dialogue par exemple. C’est d’ailleurs fort perturbant et il m’a fallu un peu de temps pour m’adapter et accepter ces procédés.
« Il n’envisageait pas de la perdre. Il ne se voyait pas du tout reprendre son ancienne vie, entre solitude, cauchemars en tout genre, aigreurs, tocs en veux-tu en voilà, et la batterie de molécules qui lui maintenait la tête hors de l’eau. Il allait mieux, ou du moins il n’allait pas si mal depuis qu’elle était là. Et tous les vétérans qu’il connaissait, sans exception, auraient tué pour un soupçon d’amélioration de leur état, pour la plus petite goutte de lumière susceptible de les soustraire aux ténèbres de leur cerveau »
Malgré une sensation de parfois trop en faire, d’un côté « surfait » et/ou de platitude par moment, le tout reste cohérent et maîtrisé. C’est un bon roman mais qui ne me laissera pas une trace indélébile.
3/5