Premier sang – Amélie Nothomb

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Premier sang Amélie Nothomb Albin Michel

Nous en avons désormais l’habitude : point de rentrée littéraire sans un nouvel opus d’Amélie Nothomb. Fidèle à la tradition depuis l’ouverture du blog en 2016 (nous avons fêté les 5 ans il y a quelques jours), j’entame donc mes chroniques de la rentrée littéraire avec son dernier ouvrage, le 30ème, Premier sang, paru ce jour aux éditions Albin Michel.

Que vaut le millésime 2021 après le remarquable Soif en 2019 et le bon Les aérostats en 2020 ? Sa couverture ne laisse en tout cas pas le curieux indifférent. Voir Amélie Nothomb est rare… cela laisse augurer un roman fort et intense…

Je remercie Claire et les éditions Albin Michel pour leur confiance renouvelée et l’envoi du manuscrit en début d’été.

On me conduit devant le peloton d’exécution. Le temps s’étire, chaque seconde dure un siècle de plus que la précédente. J’ai vingt-huit ans. En face de moi, la mort a le visage des douze exécutants.

Mon père ce héros

Vous l’avez probablement lu ou entendu, Amélie Nothomb brosse dans Premier sang une biographie de son père, Patrick Nothomb, décédé durant le premier confinement, le 17 mars 2020. Je devrais peut-être même me risquer à employer le terme d’autobiographie tant ce roman est intime. Nous y reviendrons ultérieurement.

D’emblée, Amélie Nothomb capte le lecteur avec une scène inaugurale percutante : Patrick est face au peloton d’exécution. Consul de Belgique à Stanleyville (Kisangani aujourd’hui) en République Démocratique du Congo, il vit ses derniers instants. Sa vie défile devant lui. Il en profite pour plonger dans ses souvenirs et balayer les différents moments de celle-ci.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que son existence n’a pas été un long fleuve tranquille. Bien au contraire même: elle fut palpitante et particulière !

Les expériences durant son enfance et adolescence – les séjours au Pont d’Oye chez Pierre Nothomb, la « famine » et la cohabitation difficile avec les cousins lui auront assurément servi lors de la négociation tendue avec les rebelles. D’un naturel timide et réservé, Patrick Nothomb est devenu un redoutable négociateur, sûr de lui, ce qui lui a permis de maintenir en vie la majeure partie de ses compatriotes otages.

Amélie Nothomb lui rend un vibrant hommage dans Premier sang.

LA MORT EST ACHILLE, JE SUIS LA TORTUE : J’ATTENDS MON TRÉPAS DEPUIS L’INFINI. ME RATTRAPERA-T-IL ? TOUT À L’HEURE, J’AI DÉPLORÉ DE MOURIR EN PLEINE SANTÉ. MAINTENANT, JE TROUVE BON DE MOURIR AINSI. JE VAIS POUVOIR VIVRE LA MORT À FOND, L’EMBRASSER DE MA JEUNESSE. J’AI ENFIN ATTEINT L’ÉTAT ESPÉRÉ : L’ACCEPTATION. MIEUX : L’AMOUR DU DESTIN. J’AIME CE QUI M’ARRIVE. J’AIME JUSQU’À L’ABSOLU DE MON IGNORANCE. N’EST-CE PAS LA JUSTE MANIÈRE D’ENTRER DANS LA MORT ?

Désir de vie

Si la mort est omniprésente au fil des pages, Amélie Nothomb met surtout en exergue le formidable désir de vie de son père. Transmission, désamour et construction de soi : comment exister dans une famille bourgeoise lorsqu’on est atypique ? Comment ne pas être moqué et mis à l’écart lorsqu’on est un peu efféminé et que l’on s’évanouit à la vue d’une goutte de sang ?

En recourant à l’ellipse, Amélie Nothomb évite le pathos, la victimisation ou l’exagération des douleurs de son père. Elle fournit au lecteur les clés, à lui de se faire sa propre opinion. Comme toujours, plusieurs niveaux de lecture sont possibles avec Amélie Nothomb.

La mort est « forcément » au bout du chemin, mais tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Les différents chapitres illustrent parfaitement cet état de fait et confirment ce proverbe (qui n’est pas explicitement cité).

De la privation de nourriture parce que le grand-père Pierre « la volait » aux jours de vie gagnés lors de sa carrière de diplomate, Patrick Nothomb a du se battre pour survivre. Jamais il n’a baissé les bras, il a accepté, pire il en redemandait tant il « appréciait » ses séjours au Pont d’Oye.

J’étais en proie à un sentiment indescriptible : à la fois fou de colère et séduit au plus haut degré. L’homme que je venais de rencontrer incarnait le père dont j’avais toujours rêvé. Le plus étrange étant la réciprocité : cet homme, père de trois filles, découvrait le fils qu’il avait espéré. Nous étions l’un et l’autre sous le charme et nos paroles ne correspondaient en rien à ce que nous éprouvions.

À la première personne

À l’instar de Soif, Amélie Nothomb utilise le je et fait s’exprimer son père à la première personne. Face à la mort, Amélie Nothomb nous livre avec une extrême sensibilité et humilité un texte puissant et intense. Malgré le faible nombre de pages, Premier sang est en effet particulièrement dense.

L’écriture est à la fois sobre et riche, très expressive. Elle est parfois drôle et profondément émouvante durant les 180 pages. Le style est fluide, la poésie présente, les références littéraires nombreuses.

Comme elle en a le secret, Amélie Nothomb nous régale et nous cultive avec des mots rarement usités. J’ai ainsi fait la connaissance de la flache, une mare d’eau dont parle Rimbaud dans son superbe Bateau ivre

Le récit démarre et se conclut au présent. Les souvenirs de Patrick sont quant à eux évoqués au passé. La réussite est parfaite.

IL NE FAUT PAS SOUS-ESTIMER LA RAGE DE SURVIVRE

Est-ce le meilleur ? Je ne suis pas légitime pour en juger, encore moins pour l’affirmer. Néanmoins, j’ai tenté durant ces quelques lignes de vous démontrer que c’est assurément l’un des plus personnels, l’un des plus intimes depuis longtemps.

Dans cette biographie du père, Amélie Nothomb m’a convaincu, Amélie Nothomb m’a confirmé tous ses talents (n’en déplaise à certains ;)), Amélie Nothomb m’a marqué cette année encore.

Premier sang est un excellent roman que je vous recommande et dont je pense que nous entendrons parler à de nombreuses reprises. Merci Amélie Nothomb pour cette superbe déclaration d’amour à votre père et à la vie.

Rendez-vous l’année prochaine ! D’ici là, je suis certain que nous aurons l’opportunité de nous croiser ici ou là, et trinquer avec une coupe de ce breuvage que vous appréciez tant.

5/5

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